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La folle histoire de la « liste noire » qui a fait trembler le 7e art

MeToo du cinéma : La folle histoire de la rumeur sur la « liste noire » qui fait trembler le 7e art

Fake OFFDe « X » au « Figaro » en passant par « Touche pas à mon poste ! » itinéraire d’un bruissement qui s’est faufilé jusque dans les couloirs des rédactions.
Camille Poher

Camille Poher

L'essentiel

  • Ce mardi s’est ouvert la 77e édition du Festival de Cannes.
  • Pendant plus de dix jours, la rumeur d’une « liste noire » d’acteurs, réalisateurs et producteurs du cinéma français accusés de violences sexuelles contre des femmes a fait trembler la profession.
  • Le journal Mediapart, pressenti comme l’auteur de cette liste, a publié un article ce mardi, éteignant le feu ardent de la rumeur et arrosant au passage quelques-uns de ses confrères.

Depuis plusieurs jours, la rumeur d’une enquête fracassante signée Mediapart fait paniquer le cinéma français, alors que s’ouvre le festival de Cannes et sa caisse de résonance médiatique incomparable. Plusieurs médias nationaux ont en effet relaté l’existence d’une mystérieuse « liste noire » impliquant plusieurs grands noms du 7e art hexagonal, accusés de violences sexuelles.

Seulement voilà, tout est faux. Pas d’enquête, pas de liste, pas de révélations tonitruantes. Rien. Une rumeur non fondée qui a dépassé les frontières des réseaux sociaux et qui nous offre le parfait cas d’école de la désinformation.

Genèse d’une rumeur

Cette rumeur est née, comme beaucoup d’autres, sur le réseau social X. A l'origine, un tweet de Destination Ciné, un compte qualifié par Cyril Lacarrière dans un article publié le 13 mai sur le site de France Inter, de « complotiste à tendance raciste ». Ce dernier, pour la première fois, évoque cette prétendue enquête de Mediapart et la fameuse « liste noire ».

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Une rumeur ensuite largement alimentée par le compte de Zoé Sagan particulièrement influent sur le réseau social. Une fake news sur X, jusqu’ici rien de nouveau sous le soleil d’Elon Musk.

Seulement trois jours plus tard le quotidien national Le Figaro, évoque à son tour l’existence d’une fameuse « liste » qui mentionne « des comédiens et producteurs français parmi les plus célèbres du moment », sans pour autant jamais citer Mediapart.

Contactée par 20 Minutes la journaliste du Figaro, Lena Lutaud, à l’origine de l’article explique qu’elle fait mention d’une autre liste que celle évoquée sur le réseau social. Selon elle, plusieurs producteurs, acteurs ou autre attachés de presse du milieu lui auraient fait savoir, juste avant la cérémonie des Césars, qu’il existait une liste de dix noms de professionnels accusés d’agressions sexuelles – inventaire qui n’aurait selon elle « rien à voir avec la liste bidon qui circule aujourd’hui ». C’est la raison pour laquelle Lena Lutaud nous explique ne pas avoir contacté Mediapart : « je n’en parle pas dans mon enquête ».

De son côté, Le Canard enchaîné, qui publiait dès le 7 mai une page pleine sur ce #MeToo du grand écran, affirmait que « les enquêtes en cours sur les violences sexuelles dans le cinéma » hantent les producteurs de films à quelques jours de l’ouverture du Festival de Cannes. En revanche le journaliste n’y fait aucune mention d’une quelconque liste. L’article cite plutôt les affaires Depardieu, Jacquot ou encore Lioret, déjà connues du grand public.

Emballement médiatique

Cependant une telle couverture médiatique du sujet dans des médias reconnus fait largement gonfler la rumeur. Et il n’en fallait pas plus à la télévision pour s’en mêler.

Jeudi 8 mai, dans son émission « Touche pas à mon poste ! », Cyril Hanouna semble en savoir beaucoup sur cette « liste noire ». L’animateur n’hésite pas à préciser l’information en indiquant le nombre de noms qui y figurent, dix au total. Des « noms que l’on connaît tous » élaborés grâce à une enquête qui a duré « des semaines et des semaines », toujours selon l’animateur. N’ayant peur de rien, le chroniqueur Gilles Verdez pousse même le curseur en déclarant : « Le Festival de Cannes n’a plus aucune raison d’être […] le cinéma français va imploser ».

Le 11 mai c’est au tour du journal lyonnais Le Progrès d’y aller les deux pieds dedans en titrant carrément « #MeToo : la liste noire qui affole le cinéma avant le festival de Cannes ». Pour « asseoir » ses dires le journaliste cite finalement Le Figaro, Le Canard enchaîné et même « Touche pas à mon poste ! »… Le lendemain, c’est L’Opinion qui en remet une couche et va s’emparer de la non-info de la « liste noire » pour la « politiser » et en faire un papier aux accents « anti-woke ».

Un retour à la raison

Il faudra finalement attendre un article du journal Le Parisien, le même jour, pour que la mention de « fake news » soit enfin abordée. On lit dans l’article que « des noms circulent […] sans aucune précision ni preuve. » On note également que, pour la première fois, la journaliste a pris l’initiative de contacter Mediapart. C’est Marine Turchi, spécialiste des violences sexuelles dans le média d’investigation qui va confirmer au quotidien qu’il n’existe pas de liste et que « Mediapart ne publie que des enquêtes longues, étayées et respectueuses du contradictoire ».

C’est finalement ce lundi, veille de l’ouverture du Festival de Cannes et après plus de dix jours de folle rumeur, que Mediapart sort de son silence. C’est la responsable éditoriale de Mediapart Lénaïg Bredoux, spécialiste des enquêtes concernant les violences sexistes et sexuelles au sein du journal qui est à l’initiative de cet article, lequel a de vraies allures de droit de réponse.

La journaliste s’insurge contre ce « spectacle médiatique et pathétique » et défend son journal. « C’est faux, évidemment. Disons-le d’emblée : Mediapart ne publie pas de liste ». Elle ajoute que, quand le média révèle des faits, il publie plutôt des « enquêtes portants sur des informations recoupées » et, par définition, sûrement pas sur des rumeurs.


Les rumeurs des enquêtes Mediapart sont courantes. Dans le cadre d’une enquête sur MeToo Stand up, les journalistes de 20 Minutes y ont également été confrontés. Alors qu’aucune investigation n’avait encore été lancée avant les premiers témoignages parus en janvier dernier, le spectre d’une enquête Mediapart hantait déjà le milieu depuis plusieurs années, nous avoue un humoriste. Une question se pose alors : la rumeur Mediapart sert-elle à faire peur au milieu concerné ou plutôt aux autres journalistes qui veulent s’y mêler ? Quoi qu’il en soit, son efficacité semble toujours marcher.

Lina Fourneau