«Civilizations» de Laurent Binet: comment les Incas ont pris le contrôle de l'Europe

Laurent, contributeur du groupe de lecture 20 Minutes Livres et journaliste à 20 Minutes, nous donne son avis sur Civilizations par Laurent Binet.

Sa citation préférée :

 Mais l’histoire nous a appris qu’au fond, peu d’événements prennent la peine de s’annoncer, parmi lesquels un certain nombre se plaisent à déjouer les prévisions et qu’en définitive, la plupart se contentent de survenir.
 

Pourquoi ce livre ?

• Parce que Laurent Binet imagine ce qu’aurait été la Renaissance si les Incas avaient envahi l’Europe et non l’inverse. Au petit jeu de l’uchronie, l’auteur excelle. Lui qui nous avait amusés il y a quatre ans déjà en imaginant l’assassinat de Roland Barthes (La Septième fonction du langage, prix Interallié) écrit à nouveau au passé conditionnel. Et si Colomb avait fait une faute de frappe sur Google Maps, le monde aurait-il été si différent ?
• Parce qu’à cette question, la réponse que nous offre Civilizations, petit bonbon postmoderne, est contre intuitive. On pouvait espérer une réécriture complète de l’Histoire, mais Laurent Binet préfère tendre des miroirs. Là même où Vuillard nous offrait un Conquistadors impressionnant, Binet nous propose un court roman tout en légèreté. Le plaisir de détourner les références, les événements et les personnages historiques passe avant la dénonciation.
• Parce que le style nous réjouit. Tour à tour annales, journal de bord, roman picaresque, l’ouvrage aurait pu tomber dans l’exercice de style. Il n’en est rien. Binet veille. Sa version européanisée du guet-apens de Cajamarca est jubilatoire. Derrière l’humour, l’intrigue résiste. Jamais on ne s’ennuie. L’histoire aux mains des Incas n’est pas plus vertueuse, elle est juste mieux écrite.
• Parce que le livre est le terrain de jeu parfait pour le chasseur de références. De Lorenzaccio à la Pyramide du Louvre, on traque les clins d’œil les plus évidents. On en finit par chercher des références à chaque virgule. C’est ainsi que nous avons, pris de fièvre, commandé en urgence : un livre confidentiel aux éditions Golias, certains que nous y trouverions une clé du roman.
   

L’essentiel en 2 minutes

L’intrigue. A l’attaque du millénaire, des Vikings aventureux introduisent aux Amériques  les germes, les armes et l'acier. C’est suffisant pour que quelques siècles plus tard, des caravelles incas abordent les côtes de l’Europe. Long story short : 2022, Inca Kola devient partenaire de la Coupe du monde du foot.

Les personnages. Charles Quint, Cervantes, la clique des Medicis, Luther, Muntzer, Melanchton et autres dissidents. On connaît bien le casting : on a passé notre Seconde en leur compagnie. Ils reviennent dans un reboot latino très réussi, avec Atahualpa en tête d’affiche.

Les lieux. Dans cette partie de Sid Meier’s Civilizations, Binet a paramétré la carte en taille maxi. Vous jouerez donc sur les deux rives de l’Atlantique, avec l’ensemble des royaumes et empire de l’époque disposés à vous affronter. La diplomatie sera votre meilleure arme.

L’époque. De l’an mille au XVIIe siècle, en 336 pages, ce qui exclut totalement la possibilité de s’ennuyer.

L’auteur. Prix Goncourt du premier roman en 2010 avec une seule lettre maîtrisée à la perfection (HHhH), Laurent Binet s’est illustré en 2015 en remportant l’Interallié avec La Septième fonction du langage, que nous avions  particulièrement apprécié. Civilizations est à la hauteur de ces précédentes réussites.

 Cette fiche pour 20 Minutes Livres a été préparée pour nourrir le soleil par Laurent, « lecteur de pages de journal à titre professionnel. Les livres ne me font plus peur. »
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