« Le Web 3 est une opportunité qu’on ne peut pas laisser passer »
WEB 3•Le créateur d’Elyx voit dans le métavers et la blockchain des leviers pour atteindre les objectifs de développement durablePropos recueillis par Romain Gouloumès
L'essentiel
- Yacine Aït Kaci a créé Elyx en 2011. Le personnage s’impose immédiatement sur Instagram. En 2015, Elyx est nommé premier ambassadeur numérique des Nations Unies.
- Engagé dans la lutte contre le réchauffement climatique, Yacine Aït Kaci crée la fondation Elyx avec Adeline Pilon pour promouvoir les valeurs onusiennes et le respect des Objectifs de développement durable (ODD), adoptés en 2015 par les 193 Etats membres de l’ONU.
- Dans ce cadre, Elyx, déjà passé du carnet à la réalité augmentée, s’essaye aux NFT et, surtout, à la réalité virtuelle, avec un projet de métavers.
Sacré petit bonhomme. Parti d’un dessin sur un carnet de croquis, Elyx est devenu en 2015 le premier ambassadeur numérique des Nations Unies. Que de chemin parcouru pour cet avatar filiforme, muet de surcroît !, mais aussi, pour son créateur, Yacine Aït Kaci. Après avoir régalé les réseaux sociaux en jouant sur les perspectives, le père et sa créature entrent de plain-pied dans le Web 3, avec non pas un mais deux projets. Le premier, une collection de NFT, Par11e1, qui agrandit d’un coup la famille d’Elyx de 1.111 rejetons. Le second, un archipel virtuel dont la première île vient d’être modélisée. Son nom, Elyx Island. Comme on va le voir, avec Yacine Aït Kaci, rien n’est jamais laissé au hasard. Surtout pas dans le métavers, qui pourrait, selon lui, encourager les citoyens des pays industrialisés à moins consommer dans le monde réel, et ainsi tenir les objectifs de développements durables (ODD), dont l’échéance de 2030 approche à grand pas.
Si l’on s’attarde sur votre parcours, il y a quelque chose qui saute aux yeux. Quelle que soit l’itération du web, vous avez monté des projets assez dingues. En préparant l’émission, on a ainsi découvert que vous étiez l’inventeur du mapping vidéo, la technologie qui permet de projeter des vidéos sur des monuments…
Je n’étais pas tout seul, évidemment. Nous avons créé un groupe qui s’appelait Electronic Shadow en 2000, avant de déposer un brevet trois ans plus tard. On a fait plein d’installations, dont une, justement, s’appelait « Trois minutes au carré ». C’est pour vous, c’est cadeau ! Le postulat, c’était de dire finalement si un espace et fusionne avec l’image, on ne va pas mesurer cet espace uniquement par mètre carré, mais par le temps qui va transformer l’espace. Ce qui est assez drôle, c’est qu’on a gagné un prix du Japan Media Arts Festival en 2005. On est les premiers européens distingués. Ils nous ont raconté que cette installation, qui pour nous était complètement futuriste, leur rappelait l’habitat traditionnel japonais. Dedans, on ne compte pas l’espace en mètres carrés mais en tatamis et c’est totalement modulaire. Ça nous a beaucoup marqués. Il y avait effectivement un regard culturel dans notre projet et une dimension non-verbale que je vais garder toute ma vie. Que l’on parle de réalité virtuelle, de ventes aux enchères en ligne… A chaque fois, on peut tirer le fil et remonter à choses beaucoup plus anciennes. Toute ma carrière, ça m’a amusé de suivre les différentes évolutions technologiques, tout en tirant ce fil historique qui, au final, est relativement cohérent.
Continuons de le faire dans ce cas. Lors de l’avènement du Web 2.0, vous tirez profit des réseaux sociaux, visuels notamment, avec Instagram, pour faire émerger un personnage qui va changer votre vie artistique : Elyx…
C’est exactement ça. Quand les réseaux sociaux sont arrivés, cela faisait plus de 15 ans que l’on tournait avec Electronic Shadow, que l’on parlait d’ombre électronique. Ça n’aurait eu aucun sens que je mette ma tête et mon nom sur Instagram etc. Du coup, autant mettre en avant un personnage de fiction qui va devenir réel par le biais des réseaux sociaux. Quel personnage peut parler à tout le monde à travers la planète ? Un dessin. Quand on cherche un personnage, quand on le caractérise on va chercher des particularités. Moi, j’ai fait l’inverse. J’ai dé-caractérisé et cherché ce qui pouvait être commun au plus de monde possible. D’où le dessin. Tout le monde a dessiné dans sa vie à un moment ou un autre. L’enfance, c’est le second point commun. Le troisième, le sourire. En les travaillant, on arrive à ce dessin assez simple. Qui d’ailleurs, n’avait pas de nom au début. Ce sont les réseaux sociaux qui m’ont finalement interpellé à ce sujet. C’était la preuve que le personnage existait pour de bon. Très vite, je me suis saisi de cette idée de réalité hybride et j’en ai fait un personnage de réalité augmenté. Je le dessinais dans un carnet et je le promenais dans la ville au gré de mes pérégrinations.
Elyx est depuis devenu le premier ambassadeur numérique des Nations Unies. Ce rapport à la réalité, aux dimensions, comment le retrouve-t-on sur le Web 3 ?
Qu l’on parle de réalité augmentée, étendue ou virtuelle, c’est un peu la même famille. Depuis 2000, j’emploie le terme de réalité hybride, l’hybridation du réel avec le digital. Entre temps, il y a une génération qui n’a connu que ça, comme ma fille. Cette génération du digital change tout : cette intuition que l’on avait il y a 25 ans de dire « ce n’est pas parce que ça n’a pas de réalité matérielle que ça n’existe pas », à l’époque on nous prenait pour des fous ; aujourd’hui, c’est OK. Et c’est peut-être la base d’une nouvelle économie, d’une nouvelle industrie, et d’une révolution potentielle, vertigineuse. Aujourd’hui, on arrive à un point de maturité ou ça peut devenir quelque chose d’intéressant. Un point qui en rencontre un autre. D’un côté, on assiste à l’émergence du métavers, avec la sortie du Covid, de l’autre le GIEC qui nous dit qu’on a trois ans pour tout changer. Ça tombe bien parce que justement on veut tout changer.
Comment le métavers peut-il nous aider à atteindre les Objectifs de développement durables en 2030 ?
La fondation Elyx y travaille. On a commencé une étude avec le cabinet PWC (PricewaterhouseCoopers) autour de cette question : et si l’émergence du métavers pouvait devenir un levier et une opportunité absolument dingue pour changer de culture et de mentalité pour atteindre une sorte de frugalité matérielle, parce qu’on a l’opportunité d’une abondance digitale ? Pour peu qu’on règle à la fois les questions d’énergie, les questions de ressources etc., qui sont des vraies questions, il y a une fenêtre de tir vraiment intéressante.
Les mondes virtuels restent cependant énergivores. Comment peuvent-ils l’être moins ?
En fait, ce qui est ce qui n’est pas soutenable à terme évidemment, c’est de superposer les fonctions. On ne peut pas avoir un monde dans lequel on se promène en voiture pour un oui ou pour un non, ou l’on prend l’avion pour faire une réunion, où l’on consomme de la fast fashion, et le métavers par-dessus. Mais si l’on prend l’empreinte carbone du numérique dans son ensemble, c’est-à-dire les mails, les plateformes de streaming, plus le bitcoin et toutes les blockchains etc., on arrive à ce chiffre, important mais à relativiser : cela représente 4 % des émissions globales de gaz à effet de serre. Même si son impact augmente rapidement il y a donc 96 % des émissions qui ne sont pas dues au numérique. Le pari qu’on fait, c’est déjà de voir dans quelle mesure ces 4 % peuvent remplacer une grosse partie des 96 %. Là-dessus, on a quand même un exemple super intéressant. Le Covid. C’est la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale qu’on note une baisse des émissions de gaz à effet de serre, de l’ordre de 7 %. 7 %, c’est ce qu’on devrait faire tous les ans jusqu’à 2030 pour rester dans les clous des accords de Paris. Autant dire que c’est mal barré.
Mais ? Il y a bien un mais ?
Le confinement, c’est le moment où on a le plus consommé de digital. C’est ce qui nous a maintenus en lien. Pourquoi l’économie ne s’est pas complètement effondrée et aussi c’est ce qui a fait, paradoxalement, que l’on est passé de 50 % de la population mondiale qui n’avait pas accès à Internet à 37%. L’usage du digital s'est massifié. Là où il y a un fil à tirer, c’est dans la capacité de ce pourcentage de dépense énergétique du numérique à créer de la valeur. Et comment ce domaine peut créer plus de valeur avec moins d’énergie, en faisant en sorte que les gens au final, quand ils ont leurs Dirty Panties, leur machine 20 Mint ou leur Para11e1, en fait ils possèdent vraiment quelque chose. Ils ont un actif qui prend de la valeur, ils ne sont plus dans les systèmes de consommation qui nous ont amenés dans le mur. A l'image de celui de la fast fashion, qui est la deuxième industrie la plus polluante.
Comment ça ?
Quand tu achètes le fast fashion, c'est pour te changer souvent. C'est de l'image, à peine de la réalité. On vit dans un monde de représentation. Je parle bien sûr pour les gens qui ont les moyens d'acheter, de posséder, ce sont ceux qui polluent le plus : imaginons que le fait de détenir un loft virtuel, un avatar avec ses wearables devienne suffisant à mon bonheur, on reste certes dans la représentation, mais je n'ai plus besoin de posséder ces choses-là dans le monde réel. Le switch a l'air de rien. Et pourtant. Avec le sentiment de s’accomplir tout en ayant moins, matériellement, on devient une espèce de clochard céleste. C’est un changement de paradigme qui repose non pas sur la foi mais sur la preuve que ces choses-là, bien que virtuelles, existent. C’est justement l’essence de la blockchain.
Elyx a d’ailleurs profité du confinement pour basculer dans un monde virtuel…
Absolument. Elyx fêtait ses 10 ans en plein confinement. On ne pouvait faire ni événement ni expo. Je bidouillais avec mon casque de VR (réalité virtuelle) depuis un moment et je me suis dit : « C’est pas grave. Ce musée sera virtuel ». On est partis sur Spatial, une application qui sert à la base à organiser des réunions dans un décor virtuel, avec la possibilité de customiser des espaces. On a ouvert le musée il y a à peu près un an et demi. Spatial a depuis totalement embrassé ce modèle. On a d'ailleurs organisé avec eux et le studio Polycount une expo dans le métavers pour notre propre collection de NFT.
Para11e1, c’est bien ça ?
Oui, car ce sont des parallèles de Elyx. Chacun est unique, avec onze traits qui lui sont propres. Ils forment une sorte d’army of love d’Elyx qui va nous accompagner sur les archipels de notre métavers. Parce que je pense que la première phase des NFT ça a été l’identification, un peu comme les avatars, les photos de profils de réseaux sociaux, les fameux PFP (profil pictures). Comment est ce qu’on se représente face aux autres dans l’univers du web 3 ? Mais une fois qu’on s’est présenté quinze fois avec des singes, des femmes colorées, on sait un peu qui on est. On a envie de faire quelque chose de ce corps-là et on passe à la deuxième phase du NFT, passionnante, qui va faire le lien avec les metavers. Celle de l’architecture. Comment mon espace devient lui-même un NFT ? Viendra après la troisième phase. Le terrain. Et qui dit terrain, dit pays, gouvernance… A partir de là, des questions de droits, de libertés, des questions de démocratie vont commencer à se poser. On va revenir sur les objectifs de développement durable. Le score d’égalité hommes femmes par exemple. Quand on entend objectif développement durable, 80 % du temps on pense à l’écologie. Mais c’est beaucoup plus large..
Ce serait ça, la révolution du Web 3 ?
Le sentiment que j’ai, c’est qu’on est en train de vivre pour l’ère numérique, ce que la renaissance a été à l’imprimerie. D’un coup, on a eu une accélération folle de la diffusion du savoir. Comme on a les digital natives, il y a eu des print natives. Qui aboutit 25 ans après à une explosion, une remise en question de tout. La Renaissance. Aujourd’hui, on a une génération, les gen-z, pour qui il y a une aberration à vivre dans ce monde dont ils héritent. Le réchauffement climatique est omniprésent, ils ne se retrouvent pas dans les valeurs des modes de consommation… Ils apportent finalement beaucoup plus de crédit ou d’importance à un NFT ou à une communauté. De faire partie d’une communauté. Ce truc-là, vraiment, c’est une opportunité qu’on ne peut pas laisser passer
Comment Elyx peut-il participer au mouvement ?
Quand on veut parler de tech à des gens qui veulent aussi changer le monde pour éviter les plus graves effets du changement climatique, le métavers ou la blockchain sont rarement populaires. Il y a un double plaidoyer à faire. D’abord, montrer qu’il ne s’agit pas d’un gadget. Oui, c’est fun, et tant mieux parce que c’est plus c’est plus facile de convaincre du monde quand c’est fun, plutôt que par la peur, qui encourage les extrêmes. Le second plaidoyer, c’est de voir comment cette transformation peut se faire pour des industries, pour faire en sorte qu’une économie derrière se développe. Parce qu’il y a deux réalités. Il y a celle des pays riches qui sont en surconsommation, dans l’abondance matérielle, de déchets, d’énergie. Tout ça, il faut le baisser, on n’a pas le choix. Et le Web 3 peut être une bonne solution pour y parvenir. Puis, il y a une autre partie du monde, beaucoup plus importante, qui malheureusement n'y est pour rien dans le changement climatique et à qui l'on va dire « Ah ben non, vous ne pouvez pas vous développer parce que c’est trop tard ». Je crois au contraire qu’il faut leur permettre de se développer. D’ailleurs les pays dans lesquels les blockchain sont les plus utilisés sont des pays du Sud : au Vietnam, en Amérique du Sud… Et l’on doit pouvoir se retrouver, tous, à un croisement. On a besoin de beaucoup moins, mais de manière très créatrice. L’imaginaire, pourrait devenir vraiment le socle de la création de la phase suivante de la civilisation.
Comment faire la part des choses entre le réel et le virtuel, si celui-ci devient de plus en plus attractif ?
Le réel est irremplaçable, c’est évident. Le numérique puis le virtuel viennent le compléter. C’est pour ça qu’on parle de réalité hybride. Il y a ce qu’on vit dans le physique et il y a quelque chose qui se poursuit ensuite, aujourd’hui avec des casques de réalité virtuelle, demain avec des lunettes etc. Et l’on passe de l’un à l’autre de façon fluide. J’ai vécu une expérience de ce type. Sur Spatial, quand tu parles dans ta langue natale, tu as la traduction simultanée de ce que tu dis au-dessus de ta tête. A l’époque où c’était une nouveauté je me suis retrouvé à suivre la conversation entre un Coréen, et le fondateur de Spatial, qui s’exprimait en hindi, tandis que je voyais le texte en Français au-dessus de leur avatar. Je savais que je vivais un moment unique. Physiquement, j’étais à Paris, et, en même temps, sous mon casque, je me trouvais devant une espèce de feu de camp avec des invités, pour certains à New-York, d’autres en Corée. C’était super émouvant. Et ce moment existait complètement, car tous ceux qui y ont pris part partagent un souvenir commun. Des expériences comme celle-là ne singent la réalité. C’est quelque chose de différent, de nouveau. Plus on aura d’usages de ce type, plus ils deviendront naturels. On passera de l’un à l’autre sans se poser la question et surtout sans les opposer. C’est ça le métavers. Il ne s’agit pas juste d’un espace 3D. C’est la communauté, les gens que tu connais. On commence une conversation ici, on peut la poursuivre sur une autre plateforme, un autre format. Notre agilité à passer de l’un à l’autre changera complètement notre façon de percevoir le monde.
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