Sur les réseaux sociaux, afficher ses opinions politiques reste tabou
WEB•Il ressort d'une étude menée pendant la campagne que si l'on parle beaucoup politique sur le Web, c'est majoritairement de façon détournée. Internet, un lieu de débat public? Pas du tout, répond l'étude...Annabelle Laurent
On se souviendra de cette campagne présidentielle comme de la première à s’être jouée autant sur le Web. 650.000 fans sur la page Facebook de Sarkozy, 156.000 pour François Hollande… Un beau bilan pour les stratégies numériques des candidats, qui auront été longuement analysées. Et du côté des citoyens? Comment ont-ils vécu la campagne, avec toute la panoplie d’outils à leur disposition (télévision, Web, tablette, mobile)? Pendant deux mois, Joëlle Menrath et Laurence Allard ont observé les meetings, les bureaux de votes, scruté Twitter et Facebook, en particulier les soirs du débat (500.000 tweets) et des émissions «Des paroles et des actes», lu les blogs et sites de presse et mené des entretiens avec une soixantaine de personnes, dont trente à la volée.
Un panel plutôt réduit mais qui leur a permis d'aboutir, au terme de cette étude commandée par la Fédération française des télécoms, à quelques conclusions. Premier constat: la multiplicité des outils et des médias rend chacun plus actif par rapport au flux d’information. En choisissant ses médias au lieu de «rester devant» la télé, comme le dit une jeune interrogée au cours de l’étude, «le citoyen connecté devient un protagoniste de la campagne», qui s’intéresse alors au «deuxième temps de l’information» et développe une prédilection pour le décryptage, «un goût du off» et des «observations collectives» sur Twitter (les discussions à propos des meetings, discours ou débats), note la sociologue Joëlle Menrath.
Beaucoup de LOL, peu de débat
Mais aussi fournis soient-ils, ces échanges ne donnent pas lieu à un déballage des opinions politiques de chacun, assure Laure Allard. «Internet n’est pas l’endroit idéalisé où s’épanouit le débat public», tranche la sémiologue et maître de conférences en sciences de la communication à l'université de Lille-III.
D’abord parce que la façon dont le «citoyen connecté» s’exprime sur la politique provoque rarement une confrontation d’idées. On poste des images d’affiches détournées, des articles de presse, des photos, des blagues, et les commentaires relatifs s’attachent rarement au fond, observent les chercheuses, qui prennent l’exemple d’une photo de Gérard Depardieu à un meeting de Sarkozy. «Dès le troisième commentaire, il est question du tour de taille de l’acteur.»
Du double sens au coming-out
Surtout, on s’exprime sans dévoiler ses opinions politiques. «On parle essentiellement politique par images, car l’image parle d’elle-même, elle évite de s’exprimer personnellement», affirme Laurence Allard. Rien n’est direct, tout peut être à double sens. Liker la page d’un candidat peut tout aussi bien être une provocation qu’un signe de réelle adhésion à son discours. Idem pour un avatar transformé en portrait d’un candidat. Que déduire même d’un «retweet»? «L’évitement civique» semble être la norme sur les réseaux sociaux, assurent les chercheuses.
Pourtant, les dimanches d’élection, les réseaux sociaux se sont remplis de statuts et photos très explicites. Photos de bulletins de vote prises dans l’isoloir, statuts trahissant la joie ou le désespoir, «check-in» Foursquare dans les QG, à la Mutualité et à la Bastille au second tour, publication d’album photos de meetings… «Cela s’apparente à un coming-out», commentent les chercheuses, qui n’y voient qu’une «transgression de la norme». «Tout le monde a une bonne raison de ne pas trop s’afficher sur Facebook», estime Laurence Allard, qui assure d’ailleurs avoir observé certains «nettoyages» de profil dès le lendemain de ces expressions spontanées.
>> Et vous, comment avez-vous vécu la campagne sur les réseaux sociaux? Avez-vous exprimé vos opinions politiques? Et/ou observé l’affichage explicite de celles des autres? Dites-le nous dans les commentaires ci-dessous.