INTERVIEWDelahousse fait entendre la colère des Français dans sa série documentaire

«Les Français» se racontent dans la série documentaire de Laurent Delahousse

INTERVIEWLe journaliste de France 2 raconte à « 20 Minutes » pourquoi et comment il a voulu laisser la parole à monsieur et madame Tout-le-monde, avec une écriture proche de celle des séries télé…
Laurent Delahousse et plusieurs protagonistes de la série documentaire «Les Français».
Laurent Delahousse et plusieurs protagonistes de la série documentaire «Les Français». - Benjamin Decoin - France Télévisions / Magneto Presse
Fabien Randanne

Propos recueillis par Fabien Randanne

Ils s’appellent Yannick, Nicole, Fabienne, Tatiana ou Mohammed. Ils sont SDF, éleveur laitier, médecin généraliste, ouvrier dans l’aéronautique ou patronne de start-up. Et ils sont tous au générique des Français*, la série documentaire hebdomadaire qui sera diffusée dès ce dimanche et durant quatre semaines en deuxième partie de soirée sur France 2. Au fil des huit épisodes, exempts de tout commentaire, on découvre le quotidien, les moments de joie, les galères, les colères et les espoirs de nos compatriotes…

Autant de destins croisés qui tissent un instantané aussi sensible qu’éloquent de la France d’aujourd’hui. Laurent Delahousse, qui est à l’origine du projet, peaufine en ce moment le montage des ultimes épisodes… Pour 20 Minutes, il évoque ces Français qui lui tiennent tant à cœur.

Quel a été le point de départ des « Français » ?

Je voulais faire un constat de la France et des Français à un an de la présidentielle. On sent que c’est indécis. Il y a un décalage profond entre la représentation politique et les Français. L’idée était d’aller à la source, auprès d’eux, avec une caméra à distance, un micro-ouvert et un statut d’observateur. Et puis je souhaitais expérimenter une autre écriture, celle d’une série feuilleutonnant avec dix personnages qui se croisent et se mêlent.

Comment les dix Français qui apparaissent au fil des épisodes ont-ils été sélectionnés ?

En juillet dernier, quatre personnes ont été chargées de les trouver. Il fallait des personnages représentatifs, résidant dans des régions différentes. On a un panel assez vaste. Ce n’est qu’une photographie qui n’a pas la prétention de dresser un profil sociologique des Français.

Ont-ils rapidement oublié qu’ils étaient filmés ?

Ils ont oublié assez vite la caméra, oui. Les équipes de tournage étaient réduites, il y avait un cadreur et un journaliste. Ils ont été libres dans leur parole. Ils avaient besoin d’exprimer beaucoup de choses et ils savaient que leurs propos n’allaient pas être tronqués.

Le montage furète d’un protagoniste à l’autre, les séquences sont assez courtes, ce qui donne du rythme à l’ensemble…

Comme dans une série télé, les deux premiers épisodes sont destinés à présenter les personnages dans des tranches de vie. Il fallait donner envie de découvrir la suite, ne pas tout dévoiler dès le début… On a utilisé les codes de la fiction. On a joué sur les faux-semblants, avec les masques… En France, on a ce réflexe de mettre les gens dans des cases, mais là, on se rend compte que les choses bougent, ne sont pas figées. Il était important que les strates professionnelles, du regard social et de la vie intime apparaissent au fil des épisodes. Toutes trois sont liées.

« Vous allez pouvoir découvrir pourquoi ils sont devenus nos héros au-delà des apparences », promet le communiqué de presse. Vous vouliez rendre hommage à monsieur et madame Tout-le-monde ?

On veut dire que ces personnages ont tous le droit d’avoir une histoire. Je déteste l’expression « Français moyen ». Je ne sais pas ce que ça veut dire. Il y aurait des Français moyens, des Français supérieurs et des Français inférieurs ? Dans le documentaire, il y a avant tout des Français qui avaient envie et besoin de dire quelque chose. Certains sont en colère, désorientés et ont peut-être des projets déconnectés de ce que proposent les politiques. Or, ils ont un appétit pour la politique, ils veulent tous un renouvellement politique, mais les lignes directrices ne sont pas les mêmes. La notion de héros anonymes est importante. Ils ont une vie qui paraît simple mais celle-ci n’est ni anecdotique ni minime. Les Français sont souvent résumés à la somme de toutes les peurs, moi, je voulais mettre en avant la liste de leurs envies.

Vous vouliez faire parler ceux que l’on n’entend pas, ou peu ?

Les politiques devraient faire attention à cela, à l’idée que les Français puissent s’exprimer. Je trouve que la parole des Français, dans les médias par exemple, est souvent tronquée, réduite, vouée à l’utilité des journalistes et à la construction de leur reportage. L’absence de commentaires, le fait de ne faire entendre que leurs propos, me semblait important.

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Vous dites que vous vous avez repris certains codes des séries télés. Y en a-t-il une en particulier qui vous a influencée ?

Honnêtement, il n’y en a pas. Aujourd’hui, les séries sont surréalisées. C’est davantage le cinéma, le cadrage, qui nous a influencés. Notamment le travail d’Emmanuelle Bercot (La Tête haute) ou Stéphane Brizé (La Loi du marché), leur manière de placer la caméra, de laisser un espace aux silences. C’est terrible, à la télévision, les silences sont bannis, comme si elle en avait peur, alors que certains disent bien plus de choses qu’un commentaire et une caméra bougeant en permanence.

Y aura-t-il une saison 2 ?

Je le souhaite. Pour France 2, ce serait l’un des plus beaux baromètres de la campagne présidentielle. Barbara Hurel [la directrice adjointe des documentaires de France 2] et Vincent Meslet [le patron de France 2] ont vu les six premiers épisodes, ils aiment et soutiennent le programme. Sur le plan qualitatif, ils sont favorables à une suite. Mais le plan quantitatif, les audiences, entrera aussi forcément en compte.

* Les Français, à partir de dimanche 17 avril, à 22h50, sur France 2. Les épisodes seront en ligne gratuitement sur la plateforme Pluzz dès leur diffusion et durant un mois.