Pourquoi Canal+ s’accroche autant au «Grand Journal»
TELEVISION•L’émission aux audiences érodées, et qui subit des critiques de plus en plus sévères, s’offre un nouveau « lifting » cette rentrée…Anaëlle Grondin
Canal + est à la peine. Son access prime time a perdu de sa superbe et c’est le casse-tête depuis plusieurs saisons. Créé il y a onze ans, Le Grand Journal lutte pour retenir les téléspectateurs qui se laissent séduire par d’autres talk-shows diffusés au même moment, comme C à vous sur France 5 et Touche pas à mon Poste sur D8, plus en forme que jamais.
Une concurrence féroce, des invités moins prestigieux, un manque de surprises, un « esprit Canal » plus aussi éclatant qu’auparavant… Les audiences du Grand Journal étaient déjà en berne quand Canal + a décidé de se séparer de son emblématique présentateur Michel Denisot et n’ont cessé de péricliter depuis son départ en 2013. Et pourtant, l’émission revient avec une (énième) nouvelle formule ce lundi. Mais pourquoi Canal + s’accroche-t-elle autant au Grand Journal ? Pourquoi ne pas tirer un trait sur ce programme qui a, semble-t-il, fait son temps, et choisir de donner un coup de neuf à la grille ?
La « peur d’un saut dans le vide »
« J’ai l’impression que c’est une peur d’un saut dans le vide. On préfère essayer de modifier la recette, comme pour les produits marketing, afin de la réadapter au public », analyse le sociologue des médias François Jost. « C’est une décision difficile de supprimer un format si emblématique », renchérit Aliette de Villeneuve, responsable du pôle contenus et marketing des programmes à NPA Conseil. Par ailleurs, explique-t-elle, « Canal + n’avait pas le temps de concevoir une toute nouvelle émission en si peu de temps. Donc le plus simple était de garder le titre, cohérent avec le Petit Journal, et de changer le contenu sans le bouleverser. »
« Au niveau de Canal +, on considère que le Grand Journal est une marque exceptionnelle par son histoire », défend Ronan Autret, nouveau producteur de l’émission. Il reconnaît que les invités sont souvent des personnalités que les téléspectateurs retrouvent la même semaine (voire le même jour) dans d’autres émissions. Mais ça ne l’embête pas plus que ça, affirme-t-il : « Pour moi ce qui importe, c’est la rencontre sur le plateau. Faire dire à l’invité ce qu’il n’a pas dit ailleurs. » Ronan Autret pointe du doigt la fois où Jamel Debbouze a réussi à faire « lâcher le morceau » à Ségolène Royal sur sa candidature à l’élection présidentielle… Son exemple date de 2006, mais il insiste : « On va arriver à créer de nouveau de ce type de rencontre. » Ce lundi soir avec Manuel Valls, par exemple, histoire de marquer la rentrée ?
« Assurer ses abonnements »
« Le Grand Journal est peut-être moins flamboyant qu’à une certaine époque mais ça reste une marque très forte, martèle Ronan Autret. Pourquoi changer ? On va trouver des incarnations qui vont permettre d’être dans l’air du temps. »
Etre davantage dans l’air du temps, oui. Mais François Jost souligne un paradoxe : « La chaîne est écartelée entre deux contraintes, faire de l’audience comme toutes les chaînes et assurer sans arrêt ses abonnements. L’émission est populaire si les jeunes la regardent, mais qui paye l’abonnement à Canal + ? C’est là, le problème. » Pour lui, « Le Grand Journal reste une vitrine de Canal + » qui sert à « satisfaire un public attaché à cette marque et à certains souvenirs de cette marque » mais aussi à garder ses abonnés. C’est, entre autres, pour cette raison que la chaîne rechigne à bousculer les codes et imposer de nouveaux visages.
Un Grand Journal « plus détendu » cette année ?
Malgré tout, François Jost estime que c’est une bonne idée d’avoir choisi Maïtena Biraben pour remplacer Antoine de Caunes cette saison. « Maïtena Biraben a installé Le Supplément avec succès. Elle a une personnalité marquante. Elle pourrait être le pivot qui fera basculer l’émission dans autre chose. Il y a du sérieux dans son émission et de la dérision avec [le chroniqueur] Cyrille Eldin. » Aliette de Villeneuve accueille aussi les changements à venir avec optimisme : « Maïtena Biraben devrait donner un côté plus détendu au Grand Journal. On peut anticiper une émission plus divertissante : des chroniqueurs davantage sur l’humour, des pastilles humoristiques, un format plus court. »
Maïtena Biraben, la dernière chance du «Grand Journal»?
Elle imagine même que « Le Grand Journal pourrait revenir à son rôle de dénicheur de talents qu’il avait il y a quelques années pour Omar et Fred, Bref, etc. » La formule revue et corrigée (dans l'urgence) donnera-t-elle raison à Canal + d’avoir persévéré ?