SERIE«Des hommes tourmentés» ont pris le pouvoir dans le renouveau des séries américaines

«Des hommes tourmentés» ont pris le pouvoir dans le renouveau des séries américaines

SERIEUne enquête démonte et analyse les rouages du «nouvel âge d’or» des séries américaines et des hommes qui les ont portés…
Le showrunner des
Le showrunner des  -  JILL CONNELLY/AP/SIPA
Joel Metreau

Joel Metreau

Ils ont imposé leur griffe à la télévision. Des hommes tourmentés (La Martinière, 24 euros), une enquête de l’Américain Brett Martin, tourne autour des tout-puissants «showrunners» : Alan Ball (Six Feet under, True Blood…), David Chase (Les Soprano), Vince Gilligan (Breaking Bad)… Des hommes qui voulaient bousculer l’industrie de la télévision, comme Coppola et Scorcese Hollywood dans les années 1970. Le showrunner, scénariste en chef, «est aux séries, ce que le réalisateur est au cinéma: un monarque, explique Brett Martin à 20 Minutes. Seul lui peut contrôler l'univers en pleine expansion d'une série.»

«Là où tous les égos s'entrechoquent»

Un monarque a besoin de sujets sur lesquels régner et surtout pour alimenter des scénarios feuilletonnants. Sa cour s'appelle «writers’ room» (la salle des auteurs), dispositif emprunté aux sitcoms. «C’est le lieu central de la série. Là où tous les egos et toutes les créativités s’entrechoquent, pointe Brett Martin. C'est l’endroit où la vision du showrunner est contrebalancée par celle des scénaristes.» Et certaines «rooms» sont plus agréables à vivre que d’autres. Si celles d'Alan Ball sont les plus conviviales, d’autres se sont déroulées dans des ambiances plus tendues, comme pour Les Soprano ou Mad men… La personnalité du showrunner a tendance à y déteindre…

Leur personnalité imprègne également leur série. «Ces auteurs y apportent leurs propres obsessions et névroses, explique Brett Martin. Au fur et à mesure, que les showrunners gagnent en importance dans l'industrie, leurs héros se retrouvent confrontés à la question du pouvoir.» A ce qu’ils sont prêts à sacrifier pour conserver leur statut… La biographie du showrunner s’exprime dans les personnages: comment ne pas faire le lien entre l'homo honteux David Fisher dans Six Feet Under et Alan Ball qui n’a pas fait son coming out avant l’âge de 33 ans?

Des conflits avec les acteurs

Les conflits se manifestent avec les acteurs. Dans le cinéma, la relation réalisateur-acteur dure au plus le temps du tournage, quelques semaines. Pour les séries, elle s’installe sur des années, de saison en saison. «C’est une relation compliquée. Par son interprétation, Bryan Cranston devient aussi l’auteur de Walter White. Après tout, il le connaît aussi bien que Vince Gilligan», remarque Brett Martin. Les showrunners sont obligés de composer avec les visages de la série auprès du public, comme David Chase doit se plier aux sautes d’humeur de James Gandolfini.

Mais en gardant la mainmise sur le scénario, les showrunners restent les seuls maîtres à bord. Des Hommes tourmentés évoquent l’«état d’angoisse permanent» des acteurs, dont la mort des personnages peut conduire à la case chômage. Ainsi, non seulement Idriss Elba apprend en lisant le scénario que son personnage dans The Wire va mourir, mais aussi qu’il va se faire uriner dessus par le membre d’un gang. Fureur et consternation de l’intéressé.

Des hommes tourmentés dresse aussi un constat rien que dans son titre. Peu de femmes ont accédé au statut de showrunner: Lena Durham pour Girls, Shonda Rhimes pour Grey’s Anatomy et Scandal ou Jenji Kohan pour Orange is the new black... Brett Martin résume: «Ce début de l’âge d’or des séries a été mené par des hommes et marqué par des histoires d’homme et de pouvoir. Mais c’est en train de changer.»