Lena Dunham: «J'ai réalisé que la nudité pouvait avoir un pouvoir politique»
INTERVIEW•Alors que la saison 3 de «Girls» vient de commencer sur HBO et en France sur OCS, sa créatrice Lena Dunham était à Paris vendredi. «20 Minutes» l’a rencontrée…Annabelle Laurent
Hannah, son personnage dans «Girls» veut devenir «la voix de sa génération, ou d’une génération, au moins, peut-être». Lena Dunham tente elle de l’être depuis trois saisons à travers «Girls», série d’HBO produite par Judd Appatow dont elle est l’actrice principale, la réalisatrice et la «showrunneuse». Lena Dunham à Paris, c’est un événement. Nous la rencontrons avec une dizaine de journalistes. L’enregistrement de cette interview commence par une minute de silence. Personne n’ose commencer. Elle revient brusquement parmi nous, toute sourire (et perdue sans doute par le décalage horaire). «Oh pardon, j’étais dans un espace parallèle. Si on parle, ça va!».
On vous a beaucoup reproché d’apparaître souvent nue dans la série. C’est un acte de militantisme?
Quand j’ai commencé, c’était naturel et instinctif, ça faisait pour moi partie de l’honnêteté de la série. C’est face aux réactions des gens, si fortes et parfois négatives, que j’ai réalisé que cela avait un pouvoir politique. Et comme quand on me dit que je ne peux pas faire quelque chose, ça me donne encore plus envie de le faire, je pense que ces réactions m’ont poussée à aller encore plus loin sur le sujet du sexe.
Vous êtes en couverture de «Vogue». Certaines féministes vous l’ont reproché…
Même si j’ai parfois l’impression de tout vivre politiquement, j’essaie parfois de juste vivre les choses comme une fille. Je me suis dit «Quel incroyable compliment, quel honneur». «Oh mon Dieu, je vais à ce shooting et mettre tous ces beaux habits». J’ai essayé de profiter en tant que jeune femme plutôt qu’en tête de file d’un mouvement. En espérant que les gens qui aiment la série n’aient pas le sentiment que ça trahit leurs valeurs ou leurs idées.
Quels préjugés voulez-vous aborder dans cette saison?
On aimerait continuer à explorer ceux de la féminité. Cette année j’ai été confrontée à beaucoup de débats sur Twitter sur ce qu’est le «vrai féminisme», ce qui le contredit, poser pour un magazine de mode, se montrer nue à l’écran … Et j’étais ravie d’avoir un endroit au delà de Twitter pour m’exprimer. Ce qui est bien car Twitter est un endroit terrible pour parler de quoi que ce soit! (Rires)
Ecrire, jouer, réaliser: Quel est le plus difficile pour vous?
L’écriture est mon premier amour, c’est ce que j’ai toujours voulu faire de ma vie. J’adore réaliser car j’ai l’impression de solliciter chacun de mes neurones et de relever des défis chaque jour. Et j’aime jouer, même si j’ai parfois l’impression d’être bloquée devant la caméra alors qu’il y a tellement de choses à faire de l’autre côté! J’ai vraiment de la chance de pouvoir faire les trois sur «Girls».
Vous devez recevoir des propositions d’Hollywood…
Pas tant que ça! Les gens pensent sans doute que je suis occupée par «Girls». Je ne reçois pas d’offres pour des films de super-héros ou des trucs comme ça, non!
Cela vous tenterait?
Je suis trop égoïste pour donner… Vous savez, il faut tellement donner en tant qu’acteur, et je veux garder l’énergie d’écrire… Il y a trop de choses que je veux faire dans ma vie. Bien sûr, je ne dirais pas non si un incroyable réalisateur m’appelait. Un ami est venu en France pour un film de Mia Hansen-Love et j’étais tellement jalouse!
Beaucoup de gens vous rapprochent de Woody Allen. La comparaison vous plaît?
C’est génial d’être comparée à lui et j’ai vu tous ses films. Mais il y a aussi beaucoup de gens de sa génération comme Eleine May et Nora Ephron dont le travail est super important pour moi, et qui devraient être reconnues aussi.
Vous avez posté sur Instagram une photo de vous avec Agnès Varda…
Quand j’ai entendu qu’elle venait à Los Angeles pour une rétrospective de son travail, je me suis dit que je ferais n’importe quoi pour la rencontrer! J’ai vu tout ses films, je l’admire pour avoir été une réalisatrice entourée d’hommes – mariée à Jacques Demy, contemporaine de Truffaut, Godard… Elle avait la force pour continuer et faire parmi les meilleurs films de tous les temps. Je trouve ça drôle parce que sur la photo, on a un peu la même coupe! Je l’ai montré à mon copain en lui disant: «Voilà comment je veux être à 80 ans!». (Rires)
La discrimination positive pour encourager les femmes dans l'industrie du cinéma...?
Nous en avons un peu dans «Girls». Si on a deux réalisateurs, un homme et une femme, on va plutôt travailler avec la femme. On est aussi très contents quand on peut engager une femme pour un métier traditionnellement réservé aux hommes.
Quel enfant étiez-vous?
Ma mère me dit que j’étais vraiment bizarre! Je n’avais pas beaucoup d’amis, j’aimais lire, parler à mes parents, écrire, et essayer des costumes étranges. Je passais beaucoup de temps avec moi-même et mon imagination.
Est-ce plus difficile d’écrire le quotidien banal de «Girls» en connaissant autant de succès?
J’aimerais pouvoir dire qu’une fois que tu n’as plus à te soucier de ton travail ou de ton loyer, tout va, mais il reste tellement de choses humiliantes et embarrassantes au quotidien!
Qu’avez-vous appris par rapport à Hannah?
Le plupart du temps elle n’arrive pas à surmonter ses émotions, et être un peu moins sensible émotionnellement m’a beaucoup aidé dans ma vie d’adulte et ma carrière. Elle est aussi un peu trop esclave de ce qu’elle considère comme ses principes, elle réagit au quart de tour. Ce que je comprends mais je me sens chanceuse d’être un peu au-delà de ça maintenant.
Où s’arrêtera «Girls»?
J’aimerais que l’on soit fiers de chaque saison. J’ai toujours dit que ce serait 5 ou 6 saisons. J’ai envie d’amener les filles à une prochaine étape de leur vie, plus stable et heureuse, où elles auront vraiment mûri. On a une petite idée de la façon dont terminer la série. Je sais en tout cas que je ne veux pas qu’elle se termine avec chacune ayant des enfants!
Vos séries de l’année 2013?
J’ai trouvé «Top of the lake» de Jane Campion incroyable, j’ai aimé «The Fall»… J’aime «Louie», «The Mindy Project», je trouve que «Brooklyn 99» est très drôle et j’adore «Scandal» que les gens trouvent un peu «soap» mais qui moi m’obsède!
Auriez-vous pu écrire une série centrée sur des hommes? Un «Boys»?
Je pense que j’en aurai été physiquement capable! Mais j’ai beau être très inspirée par les hommes dans ma vie, les problèmes dont je veux parler concernent les femmes. Cela a toujours été le cas, depuis que je suis toute petite. Certaines filles ont eu des moments de leur vie où elles se sont dit «J’aimerais être un garçon». Moi, jamais. J’ai toujours trouvé ça tellement cool d’être une fille!