Emissions d’histoire: Les anecdotes vampirisent-elles les faits?

Emissions d’histoire: Les anecdotes vampirisent-elles les faits?

TÉLÉVISION – De nombreux chercheurs dénoncent les émissions historiques qui cultivent le goût de l’anecdote au détriment de la précision…
Benjamin Chapon

Benjamin Chapon

«Vengeances, morts mystérieuses, manipulations…» pour le dernier numéro de «L’Ombre d’un doute». «Il chasse, il drague, il mord…» à propos de Georges Clémenceau dans celui de «Secrets d’histoire». Ces émissions historiques ont la particularité d’obtenir de bonnes audiences (entre 2,5 et 3 millions de téléspectateurs pour «Secrets d’histoire») et des critiques violentes de la part d’historiens.

«C’est la foire au grand n’importe quoi, s’emporte Guy Bharte. Pour séduire, ces émissions misent tout sur l’anecdote. Ce n’est pas comme ça qu’on aborde l’histoire.»

C’est l’anecdote qui a assassiné César et Kennedy

Padre Pio, pseudonyme derrière lequel se cache un internaute qui raconte, sur Twitter, des récits historiques à base d’anecdotes, ne comprend pas cette critique. «Les historiens ne mettent pas en avant ces anecdotes dans leurs études, pourtant ce sont eux qui nous les racontent, au détour de longues études. Elles sont souvent révélatrices d’une époque et permettent d’intéresser un public a priori rétif à l’Histoire.»

Guy Barthe n’est pas opposé à l’anecdote. «Tout comme un document photographique ou une donnée archéologique, l’anecdote illustre un propos. Mais on ne peut pas tenir un propos uniquement à partir d’anecdotes, encore moins quand on s’attaque à de vastes sujets comme c’est le cas dans ces émissions.»

Des théories croustillantes bien assaisonnées

La plupart des historiens qui travaillent pour la télévision s’en défendent mais Marie-Etienne Pizzetti, historienne ayant collaboré pour de nombreuses émissions, estime que les producteurs «trichent. L’histoire, comme toute science, progresse. Les chercheurs établissent de nouvelles théories puis mettent des années, parfois une carrière entière, à les vérifier. Ces émissions s’emparent trop souvent de spéculations séduisantes, mais non vérifiées, et les montent en épingle.»

Opposés sur le fond du problème, l’historienne et Padre Pio ont une référence télévisuelle en commun: «Il était une fois l’homme.» L’émission pour enfants des années 1980 dont une intégrale en DVD vient d’être éditée, a «plutôt bien vieilli, note Marie-Etienne Pizzetti. L’émission doit son succès à des saynètes amusantes où, là encore, l’anecdote prime sur l’analyse. Les personnages sont manichéens, avec les méchants et les gentils, concept absurde en matière d’histoire. Et pourtant, le propos est très juste. Les créateurs ont pris soin de n’illustrer que des faits historiques avérés et des analyses établies.»

Le mystère de la momie plutôt que la chronologie des dynasties

L’historienne est par exemple séduite par l’épisode sur l’Egypte. «Alors qu’aujourd’hui on multiplie les émissions pour expliquer les soi-disant mystères des pyramides, cette série a un propos très clair, sans extrapolations.»

Guy Barthe trouve «dommage de s’intéresser aux prétendues dessous de l’histoire quand la surface des faits n’est pas connue de la plupart des gens. Interrogez les gens sur la IIIe République, ou sur les causes de la première guerre mondiale, ou demandez-leur qui étaient les Mérovingiens… Il y a beaucoup à faire sans essayer de révéler de grands secrets.»