Attentats à Paris: Le malaise plane sur la Meinau, où le troisième kamikaze du Bataclan était connu
TEMOIGNAGES•Dans le quartier de la Meinau à Strasbourg, d’où sont partis pour la Syrie une dizaine de jeunes radicalisés, et dont fait partie le troisième kamikaze du Bataclan, des habitants témoignent de leur incompréhension…Gilles Varela
Tristes, silencieux, souvent sans réponse, les habitants de la Meinau à Strasbourg savent à présent que Foued Mohamed-Aggad, le troisième kamikaze du Bataclan, a fréquenté le quartier. Il faisait partie du groupe des dix hommes -dont certains sont bien connus des habitants- partis en Syrie faire le Djihad en 2013. « C’est un triste bilan. Dans ce groupe, il y avait deux frères que je connaissais bien, mais ils sont morts là-bas. Tous les autres sont rentrés et sont en prison. C’était des jeunes discrets, normaux, avec une vie familiale. Et maintenant il y a le Kamikaze du Bataclan. Franchement je ne comprends pas comment ils en sont arrivés là, notre quartier ce n’est pas le plus calme mais de là à fabriquer des terroristes ? », s’interroge Yvan, un quadragénaire.
Mais ce mercredi matin, difficile de rencontrer des gens qui ont côtoyé directement Foued Mohamed-Aggad. Peu connu dans la cité, discret… Il est désormais devenu le lien direct entre le quartier et le massacre du Bataclan. De quoi soulèver méfiance et incompréhension.
« Qu’est-ce qu’un jeune de Strasbourg va pouvoir changer là-bas ? »
Ce sont « des perdus » s’indigne Mohamed. Ils dansent, ils font la fête. Et après il y a quelqu’un qui leur change la tête. Moi j’ai une fiche "S". On m’a déjà proposé il y a quelques années de partir faire le Djihad. Mais qu’est-ce qu’un jeune de Strasbourg va bien pouvoir changer à la situation là-bas ? Pour avoir un destin de merde ? Il faut étudier à fond la religion, comprendre l’autre, s’interroger, se renseigner voir des vidéos et faire son propre choix. Un musulman ne peut pas tuer. Il y a trop d’amour dans le Coran. C’est impossible. D’ailleurs, Foued Mohamed Aggad, je le connaissais de vue mais je ne l’ai jamais vu à la mosquée, il habitait un peu plus loin. Il faut vivre en paix et arrêter de s’en prendre aux musulmans. »
Ils crient à la théorie du complot
Dans le quartier, la nouvelle sent la poudre et des jeunes, méfiants, lancent quelques menaces et crient à la manipulation ou au complot. « Vous croyez vraiment que Daesh les laisse rentrer comme ça ? Ils ont une mission ou c’est des arrangements avec la France et comme ça, ils font les attentats quand ça les arrange. Si on ne sait qu’aujourd’hui que c’est un Strasbourgeois, vous croyez que c’est un hasard ? En pleine élection ? C’est de la manipulation. On dit que Daesh est milliardaire, pourtant c’est les familles d’ici qui envoient de l’argent à leur fils là-bas », s’insurge James.
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« Ça va finir en bain de sang », parie Yacine, qui ne comprend pas ces départs pour le djihad et les attentats, mais qui explique paradoxalement, mais sans les justifier, qu’ils peuvent « se concevoir quand on voit ce qui se passe en Syrie. »
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« Il va y avoir d’autres éclats »
Laurent, un quadragénaire qui contemple le temps qui passe depuis son balcon, se dit « écœuré mais pas surpris. Ce n’est pas un quartier à risque ici mais je ne suis pas surpris. Ils ont rien à faire et puis après c’est la haine. »
Plus pessimiste encore, Michel Hamm, connu et apprécié de tous, chef du service éducatif de l’association Orientation-prévention-insertion (OPI) au Neuhof, un quartier tout proche et réputé difficile explique : « On a déjà lancé l’alerte il y a six ans environ. L’absence des institutions laisse la porte ouverte à d’autres moments. C’est ancré dans une misère profonde des quartiers, à la racine, et cela ne va pas s’arrêter tout de suite. Il va y avoir d’autres éclats. »