Rugby: Avec la retraite de Fred Michalak, c’est le «french flair» qui reprend un coup sur la carafe
TRISTESSE•L’ancien international mettra un terme à sa carrière à l’issue de sa saison avec le LOU…Julien Laloye
L'essentiel
- Frédéric Michalak a annoncé qu'il prendrait sa retraite à la fin de la saison.
- Le joueur du LOU a vécu 17 ans au plus haut niveau français.
- Il était l'un des derniers à incarner le mythe du «french flair».
Sacré coup de vieux lundi à la rédaction des sports de 20 minutes. On demande à notre stagiaire de troisième s’il voit de qui on parle quand on mentionne la retraite de Frédéric Michalak. Ça ne lui dit rien, mais puisqu’il a envie de bien faire, il se renseigne. « Ah mais oui, c’est celui qui fait les pubs à la télé ». Voilà où on en est.
L’immense Michalak réduit à ses apparitions agaçantes dans les spots Sofinco, quand il n’est pas confondu avec le célèbre pâtissier. Il n’en fallait pas plus pour nous décider à prendre la plume et écrire à l’Aurore, parce qu’on a toujours pensé que Michalak avait un Wilkinson dans chaque orteil [et que Gasquet pliait Nadal de la main gauche en dormant, mais c’est un autre débat].
Cela n’empêche pas l’objectivité. La fin de carrière annoncée du demi d’ouverture et de mêlée tricolore (lui-même n’a jamais su quel poste lui convenait le mieux), dépasse le tropisme personnel. Qu’on l’érige en génie absolu ou en plus grande escroquerie de ce sport au XXIe siècle, Michalak va s’en aller en incarnant une certaine idée du rugby, celui qu’on pouvait associer au french flair sans rougir de honte instantanément. Celui de l’école toulousaine, quand l’école toulousaine voulait encore dire quelque chose.
a« Un joueur qui cherchait toujours à faire de ce jeu un produit intelligent, spectaculaire, et efficace. Fred savait se servir de ses neurones, il a été élevé dans une forme de rugby libéré à une époque où on faisait confiance aux jeunes » résume Pierre Villepreux, illustre représentant s’il en est, du fameux « jeu de mains, jeu de Toulousains ». « Fred incarnait, il incarne encore la spontanéité, le plaisir d’être sur un terrain. Il jouait en fonction de ce qu’il voyait, pas en fonction de schémas préétablis à l’entraînement », complète Imanol Harinordoquy, qui a commencé presque en même temps que lui en équipe de France.
Le drame de la demi-finale contre l’Angleterre
Il faut se souvenir des premiers pas du phénomène, titulaire en finale du championnat à 19 piges. Deux coups de pied de mammouth pour assurer la victoire au Stade toulousain, à qui il aura donné ses meilleures années. Les années d’avant les blessures : le genou (deux fois), les épaules (beaucoup trop de fois), parce que Michalak ne se cachait pas en défense et que le rugby changeait, déjà. Moins de talents inconscients comme le sien, et plus de muscles un peu partout. Mais Michalak a choisi de prendre des 33 tonnes dans le buffet sans broncher pendant 17 ans.
« J’aime encore jouer au rugby, explique l’intéressé. Mais il faut prendre un jour la décision d’arrêter. Le rugby professionnel demande d’être à 100 % physiquement tous les week-ends et aussi à chaque entraînement. Je suis pro depuis l’âge de dix-huit ans et je m’aperçois que je ne suis pas au même point, physiquement ». »
Comme tous les génies précoces, le garçon a séduit six mois les spécialistes avant qu’on ne parle plus que de ce qui lui manquait. De la régularité et un jeu au pied adapté au rugby moderne, lui, l’arrière qu’on interdisait de taper dans un ballon chez les minots pour ne pas céder à la facilité. Il faut dire que ses lacunes ont éclaté à la gueule au pire moment : une demi-finale de Coupe du monde contre l’Angleterre sous la pluie à Sydney (2003), et Michalak qui dévisse une chandelle sur son premier ballon avant de creuser la tombe des Bleus un peu plus à chaque pénalité ratée. Le reste a été à l’avenant, entre coups d’éclats et coups de grisou incompréhensibles.
« Quand on tente beaucoup, on a du déchet, philosophe Imanol Harinordoquy. Fred avait la force de ses faiblesses. Quand tout lui réussissait c’était le meilleur joueur du monde et quand le match demandait plus de pragmatisme, sa spontanéité le desservait. C’est vrai qu’il est parfois passé au travers des matchs à fort enjeu, notamment à cause des conditions climatiques ». »
« Il a souffert du jeu restrictif qu’on a voulu lui imposer, surtout à l’époque de Laporte, le défend Villepreux. Un ouvreur, c’est fait pour faire jouer les autres, pour oser, alors qu’avec Fred, on ne parlait que de la faiblesse de son jeu au pied, qui n’en était même pas une ». »
Concernant Laporte, on se gardera d’être aussi catégorique. L’actuel président de la Fédération a maintenu sa confiance à Michalak coûte que coûte (on se souvient de sa mythique sortie sur « les bourgeois de merde du SDF qui l’ont sifflé en 2006 »), et ce dernier lui a offert ses plus belles inspirations internationales, avant de connaître un nouvel état de grâce plus éphémère sous PSA, un autre sélectionneur à la réputation de gros bûcheron destructeur.
Meilleur réalisateur de l’histoire des Bleus
Les défenseurs du garçon diront qu’il était la caution rugbystique d’équipes en mal de créateurs. Et mettront en avant son palmarès sans égal, en club comme avec le XV de France. Dans le désordre, meilleur réalisateur de l’histoire des Bleus (436 points en 77 sélections), trois fois champion de France et six fois champion d’Europe. « Le fait d’avoir eu une fin de carrière moins reconnue a pu peut-être ternir l’image de marque qui a été la sienne pendant sa jeunesse, rebondit Villepreux. Mais il n’y aura eu que peu de moments d’obscurité, finalement ».
Pour la route, et parce qu’il méritait bien cet hommage, on a demandé à nos deux témoins leur souvenir d’une action emblématique de Michalak.
Villepreux d’abord. Il évoque tout de suite le quart de finale de la Coupe du monde 2017 et l’essai victorieux lancé d’un pas de l’oie par Freddie le magicien.
- « Au départ de cette action, il y a le décalage qu’il rend possible par son déplacement, même si la passe est ce qu’elle était [légèrement en-avant]. Dans la continuité, il fait ce qu’un autre très bon joueur aurait probablement fait à sa place, mais il faut un début dans toutes les actions de légende. Là, c’est Michalak qui a tout changé ».
Harinordoquy ensuite. L’ex-troisième ligne du BO pense à un match contre l’Irlande, lors de la Coupe du monde 2007.
- « C’était sur une mêlée à droite, près des 22 mètres adverses. Les Irlandais avaient l’habitude de dégarnir le petit côté. On en avait parlé avant, bien sûr, mais le petit coup de pied extérieur à la Carlos Spencer qu’il sort ce jour-là [pour un essai de Vincent Clerc]…moi qui aime le beau geste, je peux vous dire que j’avais apprécié ».
On allait s’arrêter là-dessus, et puis ce bon Imanol a relancé la conversation tout seul. « Pour un gars qu’on a enterré il y a sept ou huit ans, il aura fait une sacrée carrière. On manque de joueurs atypiques comme Michalak dans le rugby français aujourd’hui ». Foutue nostalgie, déjà.