Polémique Yannick Agnel: Mais bon sang, que s’est-il passé avec le chronométrage?
NATATION•Mercredi soir à Montpellier, tout le monde a vu Agnel taper la paroi avant le deuxième à la finale du 200 m, sauf le chronomètre…B.V.
On n’ira pas jusqu’à parler comme le clan Agnel du « plus grand scandale de l’histoire du sport français ». Mais d’une vraie injustice qui va empêcher le champion olympique du 200 m de défendre son titre à Rio, oui. A l’évidence sur la vidéo, Yannick Agnel a terminé deuxième de la finale du 200 m des championnats de France derrière Jérémy Stravius et devant Jordan Pothain, d’une bonne longueur. Et pourtant, le chrono donne Agnel troisième (à 1’46.99), derrière Pothain (1’46.81). Comment expliquer un tel décalage ?
Trois systèmes de chronométrage
Rejetons tout de suite l’idée d’une simple impression visuelle vidéo : Yannick Agnel a bien tapé avant Pothain, c’est sûr. La question est plutôt de comprendre comment une telle erreur a pu se produire. Pour commencer, rappelons comment fonctionne le chronométrage officiel en natation.
1) Le système principal, le chronométrage automatique : La main du nageur active en tapant le mur sous l’eau une « plaque de touche » automatique qui enregistre le temps. La plaque vient se brancher sur un petit boitier électrique qui se trouve juste derrière le plot de départ de chaque ligne d’eau, ensuite relié par câbles électriques à un système de chronométrage.
2) Le système back-up, le chronométrage semi-manuel : Un juge arbitre, placé au-dessus de la ligne d’eau active une poire au moment où le nageur touche le mur. Cette poire est, elle aussi, reliée par les mêmes câbles au système de chronométrage et doit servir au cas où la plaque ne se déclenche pas.
3) Le système back-up du back-up, le chronomètrage manuel : Un autre juge arbitre prend les temps à la main avec un chronomètre d’entraînement tout ce qu’il y a de plus classique.
« La priorité est toujours donnée au chronométrage automatique, expliquait le juge arbitre Denis Cadon dans L’Equipe ce jeudi matin. S’il y a un écart entre la plaque et le semi-automatique, il faut départager les deux et on utilise le manuel. On utilise les temps et dans certains cas, la cohérence des trois systèmes fait qu’on utilise le back-up, le semi-automatique. Mais ce n’est pas le cas ce soir, où il n’y pas assez d’écart entre les trois modes de chronométrage. »
Les trois systèmes ont donc calculé un temps. Mais lequel est le bon ? L’hypothèse la plus probable est que, mercredi soir, la plaque automatique de Yannick Agnel n’a pas ou mal fonctionné. « Ça arrive parfois même si c’est relativement rare, nous confirme un spécialiste du chronométrage en natation. C’est difficile à expliquer car si la plaque était défaillante, on s’en serait rendu compte avant. On peut éventuellement penser à des hypothèses farfelues : les fils qui sont inversés entre les plots 5 et 6 et donc les temps qui s’échangent entre les deux lignes, quelqu’un qui a mal rebranché ou qui s’est pris les pieds dans les fils du plot, mais… »
« Une plaque fonctionne parfaitement ou ne fonctionne pas du tout. Elle ne donne pas de mauvais temps. »
Contactée par 20 Minutes, la société Megatek, prestataire français du géant du chronométrage Omega et responsable des plaques lors de ces championnats de France, a préféré ne pas répondre à nos questions, nous renvoyant vers la Fédération française de natation. Son président, Francis Luyce, ne « nie pas » un dysfonctionnement possible de la plaque automatique. Dont la raison pourrait être une mauvaise poussée de Yannick Agnel ? « Il a touché très bas sur la plaque, explique son coach Lionel Horter. Des problèmes techniques peuvent se poser, mais vu son poids, sa vitesse, c’est dur à croire qu’il n’ait pas assez appuyé. On peut s’interroger sur la réalité de la chose. » « On voit bien que le problème n’est pas du côté du nageur, enchaîne notre spécialiste. Ce qui est sûr, c’est qu’une plaque fonctionne parfaitement ou ne fonctionne pas du tout. Elle ne donne pas de mauvais temps. »
Si le chronométrage automatique est en cause, l’erreur doit aussi être « confirmée » par les chronométrages humains. Placés au-dessus des lignes d’eaux, les juges arbitres avec la poire et le chronomètre ont le méchant défaut d’être des êtres humains et d’avoir donc un temps de réaction. Le jury d’appel, réuni en urgence mercredi soir sous la direction de Francis Luyce, a eu pour mission de juger la concordance des chronos semi-automatique et manuel. Ce qu’elle a fini par faire, rejetant l’appel du clan Agnel. « Les preuves sont suffisamment explicites pour donner toute garantie avec le chronométrage semi-automatique et manuel que les temps conservés sont ceux qui ont été réalisés », nous assure Francis Luyce.
Comme la main de Thierry Henry face à l’Irlande
Les deux chronos manuels ont donc donné Agnel derrière Pothain. Et peu importe ce que dit la vidéo. « Considérant que la vidéo, non officielle, ne peut être utilisée en la circonstance, le jury d’appel a écouté les arguments du juge arbitre et vérifié que le classement officiel diffusé correspond parfaitement au respect du règlement FINA »,assure le communiqué publié mercredi soir par la FFN. Pas de caméras officielles = utilisation de la vidéo interdite = pas de révision du classement.
C’est bête et méchant, mais c’est la règle. Comme quand le monde entier voit la main de Thierry Henry face à l’Irlande lors du match de qualification pour la Coupe du monde 2010, sauf l’arbitre. La procédure réglementaire a été parfaitement suivie et le juge-arbitre Denis Cadon a assuré au jury d’appel que les chronométrages semi-automatique et manuel étaient valides et valables. Il n’y a donc pas grand-chose à faire. Même si le clan Agnel espère avoir gain de cause en appel devant le CNOSF.
« C’est son droit, conclut le président de la Fédération française de natation. Mais ça ne changera rien. J’ai eu Jean-Luc Rougé [le vice-président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF)] au téléphone pour lui expliquer la situation et il était parfaitement en adéquation avec la décision prise par le jury d’appel. »