Mercato: Kylian Mbappé au PSG, était-ce bien nécessaire?
FOOTBALL•Sportivement, financièrement, moralement, le recrutement de Kylian Mbappé fait passer le mercato parisien dans une autre dimension…B.V. et N.C
L'essentiel
- Après la signature de Neymar, c’est au tour de Kylian Mbappé de rejoindre le PSG.
- C’est sous la forme d’un prêt avec option d’achat à 180 millions (hors ou avec bonus) que le joueur devrait arriver au PSG.
- Le joueur est arrivé à Paris ce lundi, la signature de son contrat et sa visite médicale ne devraient pas tarder.
Les galactiques jouent donc désormais en Ligue 1. La signature de Kylian Mbappé, quelques semaines après celle de Neymar, offre au PSG un trio d’attaque - avec Cavani - hallucinant et des rêves de Ligue des champions. Mais aussi un vent de contestation, forcément. Dans les prochains jours/semaines/mois, Paris sera critiqué de toutes parts pour ce recrutement hors-norme, autour des 400 millions d’euros. Parce qu’il soulève, pour les anti et pro PSG, de nombreuses questions et craintes. Qu’elles soient sportives, financières et morales. Pour tenter d’y répondre, nous avons parlé avec Raphaël, 25 ans, supporter parisien lui-même partagé sur l’arrivée de Mbappé. Est-ce le recrutement de trop ?
Crainte n°1 : Que le fair-play financier tombe dur sur le PSG
Ils ont osé. On commençait à peine à imaginer comment rentabiliser les 222 millions d’euros lâchés pour Neymar que les dirigeants parisiens ont ajouté 180 patates à faire entrer dans les clous du fair-play financier. Ce ne sera pas pour la saison 2017-2018, si le PSG conclut bel et bien un prêt avec option d’achat, mais ça ne fait que repousser le problème d’un an. A partir de l’été prochain, ces deux énormes transferts entreront dans le cycle de trois ans sur lequel le club doit être à l’équilibre entre dépenses et recettes - avec une marge de 30 millions.
Clairement, Paris, déjà sanctionné il y a trois ans, va voir ses comptes épluchés par l’UEFA. « On s’occupe de tout ça. On vérifie tous les cas, sans exception, a prévenu le président de l’instance européenne dans L’Equipe, samedi. Nous avons beaucoup de sanctions possibles. Nous pouvons exclure de nos compétitions, retirer des points… Ils le savent. Tout le monde le sait. »
Concrètement, le PSG ne se met pas hors-la-loi avec ces transferts, mais il va falloir faire rentrer beaucoup d’argent chaque été dans les prochaines années. Le duo Neymar-Mabppé va coûter 154 millions d’euros par an (le montant du transfert divisé par la durée du contrat - 5 ans pour chacun – ajouté à leur salaire brut annuel). C’est cette somme que Paris va devoir compenser, sans compter d’autres recrues éventuelles. Pas impossible, mais la prise de risque est élevée.
Le PSG va ainsi devoir vendre des joueurs, contrairement à la stratégie économique du club depuis l’arrivée du Qatar en 2011. Et augmenter sensiblement ses ressources, notamment de sponsoring. Cela concerne Nike, l’équipementier du club, et la possible arrivée de Qatar Airways sur le maillot, à la place de Fly Emirates. Neymar, Mbappé et les ambitions affichées sont de bons arguments pour signer des contrats records.
« Avoir Neymar c’est un gros plus, mais là si en plus tu rajoutes le meilleur espoir français, tu te donnes clairement des atouts pour renégocier les contrats. Mais dans quelles proportions, toute la question est là », nous disait l’économiste Christophe Lepetit au moment de la signature du Brésilien. Car le PSG, qui appartient au Qatar, ne peut pas gonfler ses recettes artificiellement non plus. Il faut que le contrat respecte les lois du marché. Et si Raphael nous assure avoir confiance en ses dirigeants et « une armee de juristes qui doit avoir décortiqué le FPF et en avoir trouvé les failles », ils vont devoir jongler avec ces contraintes pendant au moins les cinq prochaines années, sous peine de se faire sanctionner. Et sévèrement, cette fois.
Crainte n° 2 : Que le PSG devienne l’ennemi n°1 en Europe
Vous en attendez parler depuis que le PSG a braqué Neymar au Barcelone dans la plus grande des souplesses. Et si un front anti-PSG composé de tous les grands clubs européens voyait le jour pour tenter de calmer les ardeurs dépensières d’un nouveau riche un peu gênant ? Front évidemment lancé par la principale victime, Barcelone. On a d’abord entendu parler de plainte auprès de l’UEFA, puis d’un boycott du PSG sur le marché des transferts, on a même lu cet édito de Mundo Deportivo appelant l’UEFA à « faire cesser cette comédie ».
Difficile évidemment de voir comment « ce front » pourrait réellement exister. Il n’empêche, on imagine bien ce mercato à 400 briques (et ce n’est peut-être pas fini) faire du PSG l’ennemi n°1 de toute l’Europe : les autres clubs, l’UEFA, les fans de foot. « Si quelqu’un est fâché ou jaloux, ce n’est pas notre problème, répondait Nasser al-Khelaifi sur RMC il y a quelques jours. On a beaucoup de respect pour tous les clubs. On n’est pas encore avec les grands clubs, mais on fait tout pour les rejoindre. Je pense que c’est tant mieux pour la compétition, pour la Ligue des champions, pour l’UEFA, pour tout le monde… »
En clair, si Paris dépense autant, c’est parce que le système l’oblige à le faire pour gagner. Et ce système, « ce sont les " aristos du foot "», comme l’appelle notre supporter du PSG, qui l’ont créé. « Ils redoutent le PSG, poursuit-il. Ils se sont partagés le butin (sportif et financier) pendant des décennies et ne tolèrent pas qu’un nouveau venu vienne taper à la porte de leur club privé. Je trouve ça normal, triste mais normal. Apres, tant que le PSG reste dans les clous, tous les fronts du monde ne pourront rien contre lui. »
Crainte n°3 : Que le Ligue 1 soit chiante à mourir
Tous derrière Monaco ! Non, on ne veut pas faire de l’anti-parisianisme primaire, juste continuer à vibrer devant notre Ligue 1 au-delà du mois de mars. Le PSG, avec son trio Neymar-Cavani-Mbappé, n’a évidemment pas d’équivalent en France. Ce n’est pas le problème de Paris, bien sûr, obnubilé par une victoire en Ligue des champions, mais on a très peur pour l’intérêt du championnat. Jean-Michel Aulas, à la tête de la fronde, aussi. Ce qui fait doucement rire les supporters parisiens. « En 2001, il se plaignait du fait que tout était fait en France pour que des petits (Nice et Guingamp en l’occurrence) puissent taper les grands, rappelle Raphaël, Parisien de 25 ans. Il vantait les mérites de l’élitisme. Mais ça, c’était avant. Avant que son équipe ne se fasse supplanter. »
En tout cas, JMA était déjà sur le même registre déjà l’été dernier.
Ça n’a pas empêché le PSG de perdre son titre, finalement, mais surtout en raison d’une saison d’exception réalisée par les Monégasques. Amputée de Bernardo Silva, Benjamin Mendy, Kylian Mbappé, en attendant de connaître le sort de Thomas Lemar et Fabinho, l’ASM résiste bien en ce début de saison. Mais sur la longueur, avec la Ligue des champions, on voit mal l’équipe de Jardim tenir le rythme. On voit bien, en revanche, le PSG finir à plus de 100 points.
Pour le reste, Nice semble en deçà de son niveau de la saison dernière, tandis que l’OL et l’OM signeraient sans réfléchir pour conserver leur place dans le top 5, pour l’instant. Il ne nous reste plus qu’à parier sur la première équipe qui battra Paris. Lyon dès la mi-septembre ? L’OM en octobre ? Plutôt en novembre, avec le match à Monaco ? Ou alors ça n’arrive pas du tout. La question se posait déjà, mais là plus que jamais : Le PSG, super locomotive ou nabab intouchable (et donc insupportable) ? Il va quand même falloir essayer de garder quelques admirateurs pour se réjouir d’un titre en C1… s’il arrive.
Crainte n°4 : Que le transfert ne soit pas justifié sportivement
C’est la question qui inquiète le plus les supporters parisiens : est-ce que, sportivement, ce transfert est justifié ? Une question qui se subdivise en plein d’autres petites questions :
- Où va-t-on faire jouer Kylian Mbappé ? Si Neymar est ailier droit et Cavani en pointe, est-ce que Kylian Mbappé doit jouer à droite… Ce qui n’est pas son poste ?
- Est-ce que ça fait pas un peu beaucoup de joueurs en attaque alors qu’il peut y avoir des manques au milieu et au poste de gardien de but ?
- Et du coup, qui dégage du onze titulaire pour faire une place à Mbappé ? Di Maria ? Draxler ? Motta ?
- Et du coup, qui dégage du club parce qu’il y a trop de monde en attaque ? Di Maria ? Draxler ? Pastore ? Lucas ?
Raphael résume ces inquiétudes : « C’est justifié car on a besoin de potentiels futurs cracks, parce que le club veut se pérenniser et être compétitif maintenant mais aussi sur le long terme (Mbappé a 18 ans). Mais dans le même temps non, parce que ça nous condamnerait, même sans contrainte financière, à nous délester de très grands joueurs, on ne peut pas empiler autant de joueurs sur un même poste. Et on a d’autres priorités : un milieu et un goal ! »
Voilà quoi pourrait ressembler le PSG avec Mbappé (en transparent, les remplaçants possible)
Version offensive
Version défensive
Crainte n°5 : Que Mbappé se plante avant la Coupe du monde
C’est la conséquence logique de la crainte précédente. Avec tellement de concurrence à tous les postes, Mbappé peut se mettre en danger. Nous, vu de l’extérieur, on imaginait bien le gamin rester une saison de plus sur le Rocher.
1- Pour confirmer sa demi-saison, certes hallucinante, mais qui reste sa première chez les pros, et dans un contexte tranquille
2- Pour arriver au top pour la Coupe du monde l’été prochain, possiblement déjà « sa » compétition (pourquoi pas après tout avec lui)
La question de son temps de jeu ne se pose pas. Sa place de titulaire est acquise - s’il joue à son niveau bien sûr -, mais pas forcément à un poste qu’il maîtrise et avec une pression accrue par le prix du transfert et le fait de revenir dans sa région. « Je ne vais pas me plaindre, et vous non plus, qu’il reste en France », a commenté Didier Deschamps depuis Clairefontaine, ce lundi.
C’est vrai. On va voir maintenant comment Mbappé digère cette nouvelle étape. Pour l’instant, à chaque fois où on se disait qu’il ne ferait peut-être pas le malin (titulaire sur la pelouse de Manchester City, face à la défense de la Juve, premières apparitions en équipe de France), Mbappé a bluffé tout le monde. Alors on va dire qu’avant de voir ce que ça donne, il part quand même avec un certain crédit.
Crainte n°6 : Que cela soit tout simplement « trop »
C’est la question la plus sensible et aussi la plus subjective, parce qu’elle n’aura jamais vraiment de réponse : est-ce qu’il était bien nécessaire « moralement » de faire ce transfert en plus de celui de Neymar ? Derrière ce « moralement » se cache beaucoup de choses, que le journaliste de l’Equipe Vincent Duluc résume parfaitement son édito du jour, nommé « rêve et démesure » : « Il y a à peu près autant de raisons de se réjouir du transfert de Kylian Mbappé, qui maintient en Ligue 1 le plus grand espoir français et donne au PSG une attaque de rêve pour partir à la conquête de l’Europe, que de se sentir mal à l’aise face à l’enchaînement des investissements qui crèvent les plafonds d’une activité économique déjà dérégulée. »
400 millions sur un été, c’est trop ? Trop pour qui, trop pour quoi ? Si le PSG dépasse 400 millions, c’est que 1) il le juge nécessaire 2) il les a 3) il en a le droit. Et si ces trois conditions sont réunies, les jugements ne seront que vent, démagogie et mauvaise foi.
Le marché était dérégulé avant le PSG, et s’il contribue à remplir d’azote la bulle spéculative, il joue surtout à un jeu dont il n’a pas fixé les règles. Est-ce de sa faute si les clubs anglais payent 60 millions pour des joueurs de seconde zone ? Est-ce de sa faute si le salaire annuel de Messi avoisine les 35 millions ? Est-ce de sa faute si le Real Madrid a dépensé des milliards qu’il n’avait pas depuis le début des années 2000 ? Est-ce de si faute si Sky Sports paye 1 milliard pour les droits de Bornemouth – Everton ? Pour concurrencer les plus grands clubs, le PSG estime devoir investir. C’est son choix, c’est son droit, et surtout c’est son pognon.
Au fond, qui peut s’en plaindre à part les romantiques d’un foot mort depuis bien longtemps et les quelques concurrents directement - les clubs du top8 - menacés pour la puissance du PSG ? Les petits et moyens clubs, comme le suggère Jean-Michel Aulas ? « Pour ma part, je pense que le PSG fait aussi du bien au foot français avec l’indice UEFA et une probable hausse des droits TV, répond Raphaël. Rabaisser les grands n’a jamais rehaussé les petits. »