Euro 2016: C’est quoi, la génération Griezmann?
FOOTBALL•La victoire contre l’Allemagne marque la naissance d’une nouvelle ère glorieuse du foot français…Julien Laloye
La fureur de la nuit marseillaise n’est pas encore dissipée, mais elle a fait émerger quelque chose du foot français qu’on n’espérait plus. Parce que c’était l’Allemagne, parce que c’est un soir qui peuplera nos rêves pour toujours, parce que c’est une victoire qui porte un nom, et que toutes les grandes aventures de ce pays ont été bâties sur le mythe de l’homme providentiel. On a assisté jeudi à la naissance de la quatrième grande génération du foot français : Après la génération Kopa, après la génération Platini, après la génération Zidane, bienvenue à la génération Griezmann.
Il faut bien mesurer d’où elle vient, et le poids des responsabilités qui sont les siennes. Aux Bleus de Kopa, on demandait seulement d’exister, aux Bleus de Platini, d’énamourer, aux Bleus de Zidane, de gagner quelque chose, enfin. A ceux de Griezmann, on leur demande tout ça à la fois, parce qu’on a été trop gâtés, sûrement. Le souvenir de la meilleure équipe de France de tous les temps, celle de Zidane, se dilue doucement, et ses derniers feux de joie ont dix ans, maintenant. Il a fallu de la patience et du courage à ses successeurs pour se situer à leur hauteur quand on repense aux obstacles à surmonter.
- L’exigence de résultats immédiats. Les victoires des années 2000 ont créé un besoin qui n’existait pas auparavant en équipe de France, celui d’être candidat à la victoire finale à chaque fois.
- Le drame de Knysna. L’équipe de France est descendue aussi bas qu’elle était montée haut en très peu de temps. Peu de sélections peuvent se relever facilement d’une grève en mondiovision, un épisode désastreux qu’on ressort dès que ça va moins bien.
- Le contexte général. L’atmosphère qui entoure cette équipe n’est pas propice aux fêtes endiablées. L’Euro a commencé par des menaces de grève générale, et Antoine Griezmann, son symbole, a failli perdre sa sœur au Bataclan, dans un entremêlement d’une même génération qui dit tout du monde dans lequel on vit, bien moins insouciant qu’en 98, par exemple.
Comment la caractériser, cette génération Griezmann ?
Des gars à qui on ne pardonne rien
C’est une conséquence directe de Knysna, et des dérapages qui ont suivi. Aujourd’hui, on demande aux joueurs de l’équipe de France d’être des modèles pour les gosses, ce qu’on n’a jamais exigé à ceux qui portaient ce maillot avant eux. Zidane a fini sa carrière sur un coup de tête qui nous a peut-être fait perdre une Coupe du monde, et les Français ne l’ont pas moins aimé pour autant. En 2016, prenez Pogba, à qui personne n’a rien passé pendant le premier tour, comme si porter des claquettes au petit-déjeuner ou lancer des bras d’honneur vengeur, méritait autant d’acharnement. Ces garçons n’ont aucun droit à l’erreur dans l’esprit de l’opinion publique, et c’est d’autant plus fort d’être en mesure de gagner cet Euro.
aDes gars qui ont renoué le lien avec leurs supporters
C’est un drôle de paradoxe vu ce qu’on vient d’écrire, mais le lien entre les Français et leur sélection nationale n’a jamais semblé aussi fort. Contrairement à l’épopée de 98,les supporters n’ont pas attendu de voler au secours de la victoire pour se manifester. L’engouement est présent depuis le début et même plus ça, depuis ce France-Ukraine de novembre 2013. Un soir de communion unique qui a fait repartir l’histoire d’amour sur de nouvelles bases.
Des gars qui ont construit leur image comme des grands
Jeudi, on vous expliquait que la Fédération française préparait un nouveau « Les Yeux dans les Bleus », mais que celui-ci n’aurait jamais la saveur de l’original. Pourquoi ? Parce que les joueurs décident eux-mêmes de ce qu’ils veulent filtrer sur Instagram ou Titter, et que leurs contrats de sponsoring bâtissent leur cote sur le marché.
Pour résumer : quand Zidane ou Barthez accédaient au statut de mégastar grâce à leurs victoires en 98 et en 2000, Pogba et Griezmann, eux, n’ont pas besoin des Bleus pour faire partie du cercle des plus grands. On peut le voir comme une dérive du foot actuel, ou choisir le verre à moitié plein : leur dévouement pour faire gagner l’équipe de France n’en est que plus louable.
Des gars qui savent ce qu’ils veulent
Il faut reconnaître aux joueurs de Deschamps une certaine suite dans les idées. Encore la semaine dernière, Evra ou Sagna nous expliquaient qu’ils ne voyaient pas ne pas remporter l’Euro, par conviction d’avantage que par forfanterie. Cette confiance en eux quasi mystique a parfois interloqué les suiveurs, mais elle est aussi un marqueur de cette génération, beaucoup plus assurée que ses aînées, au moins dans les mots. Et sur le terrain aussi, désormais.
Des gars qui sont juste au début de leur histoire
Il est toujours difficile de se projeter sur l’après, mais il y a l’idée diffuse que cette génération a encore presque tout à donner, alors qu’elle peut gagner l’Euro, une finalité en soi. Qu’elle va le gagner même. Au risque de se tromper, on ne voit pas ce qui peut arriver aux Bleus dimanche, et ce n’est pas lié au Portugal, mais plutôt à tout ce qu’on a dit plus haut.
Les Bleus ne maîtrisent pas grand-chose, leur meilleur défenseur contre l’Allemagne était réserviste il y a un mois, leur meilleur attaquant n’est pas là, les coups durs se sont accumulés depuis des mois, et pourtant, ils sont assez nettement favoris de la finale. Ils peuvent la perdre, aussi, et ce serait une déception abyssale dimanche soir, puis les jours qui suivront. Plus tard, on parlera moins d’une occasion manquée que de la première étape de magnifiques conquêtes, qui permettront à la génération Griezmann, peut-être, de surpasser ses devancières à la fin. Le rêve est permis, franchement.