EURO 2016: «L'Italie a inventé l'art de la défense et le magnifie», s'extasie Jérémie Bréchet
FOOTBALL•On a parlé tactique italienne, mise en place, système de la corde et art de bien défendre avec celui qui est passé par l'Inter Milan...Propos recueillis par Marc Nouaux
Vous maudissez l’Italie quand elle joue pendantl’Euro ? Vous avez tort. La culture défensive des Italiens, c’est de l’art. Passé par l’Inter Milan en 2003-2004, Jérémie Bréchet (37 ans, défenseur du Gazelec Ajaccio, une sélection en équipe de France) a adoré apprendre à défendre en Italie. Il nous raconte cet art à l’italienne avec beaucoup de passion, alors que se profile un quart de finale contre l’Allemagne, samedi.
Êtes-vous d’accord si on dit que la défense à l’italienne, c’est de l’art ?
Complètement. Je suis supporter des Bleus mais je suis aussi à fond pour l’Italie. J’adore voirjouer la Juve en Champions League. Ça me parle beaucoup. Défendre, c’est un art dans ce pays et c’est dans leurs gênes. Ils le magnifient mais ce sont surtout eux qui l’ont plus ou moins inventé à l’époque du Catenaccio. En Italie, on a conscience que c’est un art contrairement à la France où on le considère comme un manque de talent, un manque de prise de risque ou de la frilosité.
Comment avez-vous appris la culture de la défense à l’Inter ?
Je m’en suis vite rendu compte car au début de chaque entraînement, on pouvait passer 30 minutes à faire de la tactique collective pour réviser les bases. Un truc complètement impensable en France. On pouvait le faire en courant ou en marchant. On bossait le 4-4-2, le 3-5-2, le 3-4-3… Bref, tout !
Avez-vous testé aussi le fameux système de la corde ? (Méthode qui consiste à relier tous les joueurs d’une équipe avec une corde afin de travailler les déplacements collectifs et le bloc défensif)
Bien sûr ! Une corde avec 10 à 12 mètres d’espace entre chaque joueur. Et comme on avait un effectif hyper fourni à l’Inter avec parfois quatre ailiers droit ou trois arrières gauche, il fallait s’adapter. Donc le latéral gauche numéro 1 avait la corde et le numéro 2 courait derrière lui, le numéro 3 encore derrière… Il arrivait qu’on soit 40 sur le terrain [rires]. Des piquets de couleur symbolisaient les ballons et on devait s’adapter aux positions du ballon, pas du tout à l’adversaire, et se préparer à défendre en fonction de ces piquets. En Italie, on défend l’homme beaucoup moins que l’espace. Cela demande beaucoup de rigueur, ce n’est pas facile mais c’est plus cadré. Il n’y a pas de place pour le hasard.
Et ensuite, les défenseurs sont efficaces dans leurs duels…
Le duel se fait rarement au milieu de terrain pour un défenseur, c’est toujours dans la surface. Dès que les milieux de terrain perdent le ballon, les défenseurs reculent et se placent bas. Ils ont une grande capacité d’anticipation et une façon magnifique de couper les trajectoires. Chiellini, Barzagli et Bonucci sont impeccables dans ce domaine, ils sont très forts. Ils pourraient rester dix ans dans leur surface, ils ne prendraient que très peu de buts. Ils n’ont que très peu de un contre un à disputer face à l’attaquant, sauf si l’adversaire est dos au jeu. Ce sont surtout des duels à la tête et ceux-là, ils les acceptent et renvoient les ballons généralement sur les côtés, pas n’importe où.
aC’est un système difficile à exporter ?
On a beaucoup d’exemples de joueurs qui ont été très forts en Italie et qui ont échoué ailleurs. Fabio Cannavaro, ballon d’or ou Walter Samuel étaient impressionnants en Série A. Ils sont allés au Real, cela a été un fiasco. Ce n’est pas la même façon de défendre. Prenez Sergio Ramos, il doit couvrir au moins 90 m² peut-être. Chiellini ou Barzagli n’en ont que 30 ou 40 maximum.
On prend du plaisir à évoluer dans ce registre ?
Bien sûr ! Et puis ce n’est pas que le travail de la défense. Quand on voit les milieux courir dans tous les sens, on n’a plus qu’à ramasser les miettes, c’est plus facile. Voir les adversaires se casser les dents sur son équipe, c’est assez jouissif. Etre injouable et difficile à manœuvrer, c’est agréable.
En Italie, on vous a appris à gagner du temps ou à faire des « fautes tactique » ?
Non,ça, c’est plus culturel. C’est plutôt admis dans la formation mais c’est quelque chose d’innée, ça fait partie de leur nature. On pourrait croire qu’il y a des ateliers spécifiques pour ça mais non…
Et on ne se pose jamais la question du manque de spectacle par rapport au foot offensif ?
Pas du tout. C’est là où ils sont très différents en Italie. Ils sont plus pragmatiques et réalistes qu’ailleurs. Ils s’en foutent du spectacle. L’important, c’est de gagner les matchs. Des joueurs offensifs capables de faire la différence individuellement, toutes les équipes en ont. Ce qui distingue les meilleurs, c’est d’avoir à chaque match une équipe solide. Et pour ça les Italiens sont très forts, surtout cette année.