Dopage: «Le classement de "20 Minutes", c’est une photographie du peloton, du crédit de la performance sportive»

Dopage: «Le classement de "20 Minutes", c’est une photographie du peloton, du crédit de la performance sportive»

INTERVIEW – Pierre Ballester, coauteur de «L.A. Confidentiel» et qui vient de sortir «Fin de cycles, autopsie d’un système corrompu», apporte son éclairage…
Propos recueillis par Antoine Maes et Bertrand Volpilhac

Propos recueillis par Antoine Maes et Bertrand Volpilhac

En 2004, il avait raison avant tout le monde sur Lance Armstrong. Si l’icône américaine n’est tombée que neuf ans après la sortie de «LA Confidentiel», Pierre Ballester y a beaucoup contribué. Le journaliste, spécialiste du dopage, vient de publier «Fin de cycles, autopsie d’un système corrompu» (édition La Martinière). Un ouvrage dans lequel il raconte en détails les rôles de l’UCI, des sponsors, des télévisions et des organisateurs dans les affaires de dopage dans le vélo. Il était le mieux placé pour juger de notre classement de la crédibilité des équipes dans la lutte contre le dopage, alors que le Tour de France démarre samedi en Corse.

Selon vous, ce genre de classement est-il indispensable avant de regarder le Tour de France?

C’est presque un angle nécessaire pour se faire une idée, même parcellaire. Au moins c’est un début. Votre base de données, je la connais, elle a fait ses preuves, elle est fiable (elle provient pour partie du site Cyclisme Dopage de Stéphane Huby, ndlr). C’est une photographie du peloton, du crédit de la performance sportive. Mais pour autant, il y en a qui émergent. C’est l’autre hiérarchie du vélo, par sa probité, sa loyauté envers son public. Ça a toujours été compliqué depuis 1998 d’aborder le vélo… L’une des plus grosses tares, c’est la méconnaissance. C’est un chloroforme qu’on pose sur la crédulité des gens. Mais le sport est un vecteur trop important du business pour qu’il reste une cours de récréation pour adulte attardé.

Deux équipes sont classées 5 étoiles (Sojasun et Argos). Pour vous, peut-on se dire qu’elles sont complètement clean?

Jamais, ils ont tous prouvé le contraire. Je suis comme Gainsbourg: «Dieu n’existe pas, prouvez moi le contraire.» La suspicion s’est généralisée, personne n’a voulu l’endiguer, la réputation est irréversible, vous êtes coupable, et c’est à vous de prouver que vous ne l’êtes pas.

Voyez-vous des limites à ce classement?

Il faudrait avoir accès aux secrets d’alcôve, mais ça vous ne l’aurez jamais. On ne sait pas ce qui se passe en mai et juin dans les équipes. On sait aussi qu’il y a encore des produits indétectables, comme l’autotransfusion, ou l’hormone de croissance. Cela fait trois ou quatre ans qu’on parle de l’AICAR. On a vu des morphologies changer drastiquement. Il manque aussi les staffs médicaux. Les médecins sont des Janus, ils sont là pour les soins et pour assurer la performance. Il y en a encore une vingtaine disséminés dans les équipes du World Tour et qui exercent encore alors qu’ils ont déjà failli.

Les spectateurs ont-ils vraiment envie de ce genre de chose?

Pendant quinze ans, on n’a rien fait. Le dopage qui était encore maîtrisable, est devenu un monstre impossible à juguler. Ce qui me révolte le plus, ce n’est pas que les coureurs se dopent, c’est qu’on les empêche de se doper. Leur environnement les conditionne. Du plus haut -l’UCI- jusqu’à leur staff. Dans la tête des gens, c’est presque légalisé. Dans les dernières études, 70% des gens trouvent normal que les coureurs se chargent. L’image, c’est un type qui tous les soirs bouffe des produits industriels, et vous lui demandez de se mettre au bio. Il y en a pour qui ça ne passe pas du tout. J’ai peur qu’on ait dépassé ce cap-là.

Voyez-vous une volonté de changement chez les acteurs du cyclisme?

L’UCI dans l’état actuel des choses, non. Les mêmes hommes aux mêmes fonctions… Pour ASO, il est dans sa culture d’arranger les bidons et de ne pas éventer les efforts. Il y a une passivité coupable de l’organisateur. Les sponsors s’en moquent. C’est l’affaire Rasmussen, Ricco... La seule fois où le sponsor est nommé, Festina n’a jamais vendu autant de montres en 1999. Il est toujours chronométreur du Tour, quelle représaille! Et il se réassocie avec Virenque pour une campagne de pub. C’est décourageant. La télé à un rôle aussi. Elle a bien compris depuis 2008 que l’aspect sportif du Tour de France a du plomb dans l’aile. Elle injecte des spots qui représentent 20% du temps d’antenne consacré à l’abbaye cistercienne, la forêt domaniale et le manoir de machin. C’est un produit masquant. L’aspect sportif a été abandonné. Mais il suffit qu’un Français marche pour que tout soit reparti.

Vous-même, prenez vous encore du plaisir à regarder le Tour de France?

Je le regarde par voyeurisme, comme beaucoup. Parce qu’on y croit toujours un peu. Ce serait de l’ordre du miracle, sait-on jamais. Mais bon, Lourdes a été inondée…