Dopage en Russie: «On savait comment se passaient les contrôles» explique un entraîneur français
ATHLETISME•Pierre-Jean Vazel, ancien entraîneur de Christine Arron ou Ronald Pognon, revient sur les révélations de l’AMA…Propos recueillis par Julien Laloye
Pierre-Jean Vazel, ex-entraîneur de Ronald Pognon, Christine Arron ou Olé Fasuba, n’est pas familier du demi-fond russe, durement décrédibilisé par les dernières révélations de l’AMA sur les pratiques dopantes organisées par Moscou. Mais pour son blog « Plus haut plus vite plus fort », sur Le Monde.fr, cet entraîneur autodidacte s’est particulièrement intéressé à l’histoire du dopage en Russie, un pays qui n’a jamais mis en place un dopage d’Etat digne de ce nom, selon lui.
Etes-vous surpris des révélations de ces dernières 24h ?
Pas vraiment. On savait comment ça se passait pendant les tests, il y avait des petites confidences de la part des contrôleurs. Je me souviens d’un athlète que j’entraînais qui sortait d’un contrôle torse nu et le short baissé au genou. J’étais prêt à m’insurger, et puis l’inspecteur m’a expliqué. « Il se passe des choses avec les athlètes russes, alors on est obligé de vérifier qu’il n’y a rien d’autre dans le caleçon, vous comprenez ». Ce qu’on voit dans le rapport permet de mieux comprendre ce qui se passait il y a 30 ans à l’époque de l’URSS.
Est-ce la preuve, selon vous, qu’il existe un dopage organisé en Russie ?
S’il est organisé, il est bordélique, alors (rires). Quand je vois certains contrôleurs qui s‘échappent par les fenêtres la nuit… Je ne crois pas qu’on puisse comparer ça à la RDA des années 80. Dans l’histoire, il n’y a eu qu’un athlète est-allemand contrôlé positif, alors que de nombreux Russes sont tombés, et pas des moindres, même si les suspensions étaient courtes. Si le système de dopage était si efficace, il n’y aurait pas, en 2014, un athlète sur cinq convaincus de dopage qui vienne de Russie.
Comment se fait-il que ce système proche de l’amateurisme ait perduré jusqu’en 2015 ?
Parce que la Russie n’a jamais fait ce travail nécessaire de recherche sur son passé en matière de dopage. Il n’y a qu’un document officiel faisant référence à un programme secret d’incitation au dopage qui ne soit jamais sorti d’URSS. Il faisait référence au Nerobol, un stéroïde anabolisant très puissant, et on n’en a pas eu connaissance avant les années 2000. Tout le reste est caché. L’Allemagne réunifiée, elle, a su se retourner sur ses pratiques. Cela explique aujourd’hui que ce soit le pays qui mène le plus de contrôles hors compétition, là où le dopage a vraiment lieu. En contrôlant pendant les grands championnats, on ne fait que choper ceux qui ne savent pas se doper.
Comment situer les pratiques actuelles dans l’histoire du dopage en athlétisme ?
On se rapproche de ce qui se faisait aux Etats-Unis dans les années 80. Contrairement à la Russie, les autorités n’organisaient pas le dopage, mais elles s’arrangeaient aussi pour que les athlètes contrôlés positifs soient protégés. C’est la même logique ici. On a mis en place un système de corruption afin de couvrir les contrôles. Mais ce qu’on découvre n’est pas très étonnant ; ce sont les mêmes acteurs aux commandes depuis 30 ans. Valentin Balakhnichev est président de la fédération russe depuis 1991. Avant, c’était l’entraîneur de l’équipe nationale. Il est aussi trésorier de l’IAAF. Il est impliqué dans l’enquête mais il a quand même été accrédité aux Mondiaux de Pékin où il remettait les médailles…
Pensez-vous que le scandale se résume à la Russie, comme l’AMA le laisse entendre dans son rapport ?
La Russie alimente les fantasmes. On est prêt à tout croire à son sujet. Les grossesses dopantes, le coup du Xénon après les JO de Sotchi, qui était une vaste fumisterie… mais vous croyez que Gabriel Dollé (l’ancien médecin français responsable de la lutte antidopage à l’IAAF) était simplement ami avec un seul président de Fédération à qui il aurait rendu service en couvrant des contrôles. Pour l’instant, il s’agit simplement d’une enquête interne, pas des conclusions d’un tribunal. Et puis on ne parle que du demi-fond et du dopage sanguin, ceux qui prennent de l’EPO en gros. Tout ce qui est stéroïdes, stimulants, hormones de croissance, ce n’est pas dans le rapport de l’AMA.