Euro féminin: «Soit on gagne, soit on n’est rien du tout ? C’est idiot de penser comme ça», déplore Gaëtane Thiney
FOOTBALL•Interview avec l’une des filles les plus expérimentées de l’équipe de France féminine, qui veut enfin concrétiser son potentiel lors de l’Euro aux Pays-Bas…Propos recueillis par Julien Laloye
Gaëtane Thiney est une fille un peu à part chez les Bleues, où elle a presque tout vécu. Les premières victoires, dans l’indifférence du grand public, l’explosion médiatique après la Coupe du monde 2011, les défaites douloureuses, contre le Japon aux JO-2012 ou l’Allemagne à la Coupe du monde 2015, et même la mise à l’écart, sous la mandature de Philippe Bergeroo. L’attaquante tricolore, fidèle à Juvisy depuis 2008 malgré la montée en puissance de l’OL et du PSG, a retrouvé une place importante dans le groupe avec Olivier Echouafni. Elle se confie à 20 Minutes avant le début de l’Euro féminin.
Quels ont été les premiers mots d’Olivier Echouafni quand il vous a convoquée en équipe de France alors que vous aviez été écartée par son prédécesseur ?
Cela a été de me dire qu’il était heureux de me sélectionner et que la feuille était blanche pour lui. Je suis très heureuse d’avoir un entraîneur qui m’a fait confiance très rapidement et m’a permis de repartir comme s’il ne s’était rien passé.
Vous avez eu peur de ne jamais revenir en sélection ?
J’ai eu une expérience un peu difficile l’an passé, mais je me dis que c’est un peu une renaissance pour moi en fin de compte. Je suis reboostée mentalement, j’ai eu un an pour tout remettre à zéro. Il y a toujours du positif dans le négatif, et je m’en suis rendu compte. J’ai pu formaliser tout ce que j’ai ressenti, me rendre compte que la vie ce n’est pas toujours de la confiance, de la justice, et du bonheur. Parfois il y a des épreuves difficiles à vivre, il faut savoir se relever. J’y suis arrivée.
Vous repensez parfois à ce but tout fait raté contre l’Allemagne, qui aurait pu qualifier la France pour les demi-finales de la Coupe du monde 2015 ?
Ça m’arrive d’y penser, mais c’est arrivé dans un contexte tellement particulier que ça ne peut pas remettre en cause le fait que je sois capable ou non de marquer un but décisif. Ça l’a été pendant un moment, et je me suis posé des questions Aujourd’hui j’ai fait le point dessus, et avec le recul, je peux dire que quand la tête est dans le flou, les pieds suivent. Et puis ça arrive de rater des occasions.
Vous pensez avoir symbolisé, à votre corps défendant, les défaillances répétées de l’équipe de France dans les moments décisifs ?
Franchement, on avait l’occasion de tuer le match avant cette action. Je garde en tête une autre chose de ce match : malgré tout,la première qui va tirer son penalty pendant la séance de tirs au but, c’est moi, et ça montre une grande force mentale. Il faut avoir du courage quand on a raté une occasion pareille. Aujourd’hui encore je me demande quel grain de folie m’a traversé l’esprit pour me porter volontaire en premier. C’est facile de pointer quelqu’un du doigt, mais ce jour-là, c’était une défaite collective.
Philippe Bergeroo parlait de « problèmes mentaux d’une génération » après une autre défaite collective, l’élimination contre le Canada aux JO. Vous souscrivez à une part de cette analyse ?
Chacun pense les interprétations d’un résultat comme il le peut. Si le sélectionneur a dit ça à ce moment-là c’est qu’il avait envie de le dire. Mais quand on parle de collectif, pour moi ce n’est pas que les joueuses, c’est le staff aussi. Après, je n’étais pas là-bas, c’est difficile de porter un jugement.
Mais vous n’estimez pas que cette équipe a des problèmes mentaux ?
Ça a l’air d’aller, non (rires) ? Sur le plan de la performance sportive, je trouve qu’on a du retard dans la préparation mentale en France. C’est un aspect sur lequel on peut évoluer, toutes disciplines confondues. Je travaille avec une psychologue du sport, elle sait mettre des mots là où on a du mal à en trouver. On évolue dans une bulle, où l’on est jugées perpétuellement, avec des contraintes, une sensibilité exacerbée, ça fait du bien d’avoir quelqu’un qui peut mettre des mots sur ce qu’on ressent.
Vous comprenez la frustration de voir cette équipe incapable de passer un cap, suivant un scénario qui se répète souvent ?
Je trouve ça idiot. On nous dit ça depuis des années et je ne comprends pas pourquoi. Quand on joue la Coupe du monde 2011, on se qualifie pour la première fois de l’histoire du foot féminin français en quarts de finale d’une telle épreuve. Et à partir de là, il faudrait qu’on gagne tout le temps ? Ça doit être français, soit on gagne, soit on n’est rien du tout. Entre les deux il y a une nuance, la nuance d’une équipe qui est en train de mûrir dans le très haut niveau. Les JO, c’était notre première expérience, l’Euro, on le perd aux tirs au but, c’était une autre expérience.
Ça fait pas mal d’expériences à force. Assez pour enfin aller au bout ?
On a le potentiel pour gagner quelque chose, mais il faut arrêter de dire c’est maintenant ou jamais. C’est maintenant, et si ça ne passe pas, ce sera un autre jour.
Le nouveau sélectionneur a-t-il un rôle à jouer pour vous amener à ce déclic ?
Il nous apporte sa personnalité, sa bonne humeur. On a un staff qui sourit, qui est heureux de vivre ensemble et de partager des choses. Sur le terrain, il est exigeant et pointilleux, c’est comme ça qu’on va avancer. Il nous permet de développer notre culture technico-tactique pour arriver à se dépatouiller des équipes costaudes qu’on va rencontrer. Il faut avoir un jeu collectif huilé quand c’est difficile de créer un déséquilibre, et une assise défensive puissante contre les grosses équipes.
Comment définir l’objectif de l’équipe de France à l’Euro ?
L’objectif c’est d’aller en quarts, et à partir de là, de jouer tous les matchs comme une finale. Il y a plusieurs équipes qui peuvent prétendre à gagner l’Euro, avec des qualités différentes. C’est celle qui arrivera à faire basculer le plus de détails en sa faveur qui gagnera. J’espère que ce sera nous.