FOOTBALLLe «Secret Footballer»: «Les gens croient savoir qui je suis mais ils ne savent pas»

Le «Secret Footballer»: «Les gens croient savoir qui je suis mais ils ne savent pas»

FOOTBALLLe mystérieux joueur du championnat anglais a répondu à vos questions…
R. B.

R. B.

Autant vous prévenir tout de suite, ce n’est pas ici qu’il dévoilera son identité. Joueur de Premier League, the «Secret Footballer» décrit depuis 2011 les coulisses du ballon rond britannique. A l’occasion de la sortie de son deuxième livre (Editions Hugo) il y a quelques semaines, ce mystérieux joueur a répondu à vos questions.

Fabrice: L’anecdote du "Jam Boy", lue dans votre livre est-elle authentique? (Pour info, il s’agit de personnes qui accompagnent les golfeurs sur les parcours d’Afrique du Sud, badigeonnés de confiture pour attirer les moustiques et ainsi «préserver» leur employeur.) On se croirait au XIXe siècle…

Bien sûr que c’est une histoire vraie, quelle question! Mais cela ne risquait pas de m’arriver: le golf, ce n’est vraiment pas mon truc, donc de toute façon je n’aurais pas accompagné le groupe parti jouer ce jour-là en Afrique du Sud. Je serais resté tranquillement à l’hôtel, au calme: j’ai trop peu d’occasions de me relaxer ces temps-ci pour en laisser passer une. Mais j’aurais adoré voir les photos. S’il y a une chose pour laquelle vous pouvez faire confiance à vos coéquipiers, c’est qu’un jour ou l’autre, ils vous montreront leurs photos ou leurs films. Qu’il s’agisse de filles, de voitures ou de types qui marchent avec de la confiture sur la tête.

Fabrice: Quelle est votre opinion sur Joey Barton? Le connaissez-vous personnellement? Est-il plutôt aimé ou détesté des footballeurs anglais?

La plupart des footballeurs ont beaucoup de mal à comprendre les gens qui sont un peu différents d’eux, et je parle en connaissance de cause! Et comme ils ne les comprennent pas, ils les rejettent et n’ont aucun scrupule à les dénigrer. En Angleterre, les joueurs font volontiers passer Joey Barton pour un type qui balance des citations de Nietzsche ou des Smiths sans comprendre leur signification. Les plus cyniques ont même suggéré qu’une agence de communication contrôlait soigneusement son image et ses déclarations. J’ai joué contre lui, mais je ne le connais pas, alors je ne suis pas le mieux placé pour vous en parler. La plupart des gens estiment qu’il ferait mieux de se taire et de jouer au foot, et ils ont peut-être raison: après tout, Nietzsche, à la fin de ses jours, en était arrivé à parler à un cheval.

Rooney: On vous demande toujours qui vous êtes, moi j’ai plutôt envie de vous demander qui vous n’êtes pas! Quels sont les trois footballeurs qui ne pourraient absolument pas être le «Secret Footballer» et pour quelles raisons?

David Beckham, David Beckham et David Beckham.

Juninho: Dans le livre, vous racontez que vous avez été impressionné, et un peu désemparé, en jouant contre Arsenal. Les Gunners vous avaient visiblement mis une raclée. Vous avez regardé le DVD du match en boucle en vous demandant comment ils faisaient pour être si bons. Aujourd’hui, quels sont les joueurs et les équipes qui vous impressionnent?

Encore maintenant, je pourrais regarder jouer Paul Scholes pendant des heures. Xavi dit de lui qu’il est le meilleur milieu de terrain de sa génération, et je suis entièrement d’accord. Qu’un talent comme le sien ait été aussi mal utilisé sous le maillot de l’Angleterre est quasiment criminel: on l’a exilé à gauche pour permettre à Lampard et Gerrard de se partager le centre, alors que ni l’un ni l’autre n’a jamais réussi un bon match lorsqu’ils ont été associés.

Quant à cette équipe d’Arsenal, elle était tout simplement extraordinaire. Je suis persuadé qu’ils auraient battu Barcelone en finale de la Ligue des Champions si Lehmann n’avait pas été expulsé. Le match dont je parle dans le livre a été un vrai tournant de ma carrière. D’abord parce que cette défaite a été une leçon d’humilité; ensuite parce qu’elle a contribué à ma dépression.

PLF: Est-ce que selon vous la dépression est un phénomène répandu dans le football professionnel? Avez-vous rencontré d’autres footballeurs qui en souffrent? Avez-vous pu en parler avec eux? Est-ce que vous avez vu des similitudes ou au contraire de fortes différences dans les causes de la dépression, dans les symptômes et dans les façons d’en sortir?

Il y a de plus en plus de cas de dépression, que ce soit parmi les cadres, les ouvriers ou les sportifs. Ce n’est pas parce que l’on est en pleine crise économique que l’on attend moins de vous, ou que vous attendez moins de vous-même; c’est même souvent le contraire. Si vous êtes dans l’industrie du spectacle -et le football en fait partie-, la pression est d’autant plus forte, et certaines personnes ne sont pas capables de la gérer. Cela ne signifie pas qu’elles soient faibles. Simplement, à un moment donné, ces personnes ressentent le besoin de dire au reste du monde: «Ce n’est pas la vie que je voulais.» Aujourd’hui, je repère tout de suite un joueur qui souffre de dépression, même si lui n’en est pas conscient. Croyez-moi, j’ai suffisamment côtoyé la dépression pour la reconnaître quand je la vois.

Découpeur: Est-ce que vous pouvez nous raconter une histoire vécue que vous n’avez pas encore osé raconter dans vos livres ni dans vos chroniques?

Un jour, je me suis sévèrement chauffé lors d’un match avec mon adversaire direct, un international. Le ton est monté de plus en plus. Il m’a tellement énervé que j’ai fini par lui dire que l’un de ses proches parents qui venait de mourir était en fait probablement parti avec un autre homme. Ce n’était vraiment pas glorieux de ma part.

TheBlur: Comment voyez-vous réellement les stars du football? Par exemple, vous dites avoir rencontré Cristiano Ronaldo ou d’autres bons footballers comme lui, pourriez-vous nous expliquer votre approche de ces gens en dehors de tout ce que peuvent bien raconter les journaux people ou la télévision? Avec un salaire si exorbitant, comment se comportent-ils lors des matchs et en-dehors des terrains?

Ce sont des gens comme les autres, je vous assure, juste des gens comme vous et moi. J’ai de la chance: avec moi, ils se comportent tout à fait normalement, parce qu’ils savent que je suis footballeur moi aussi et qu’ils n’ont rien à craindre. Mais quand ils rencontrent quelqu’un qui ne vient pas du monde du football, ils sont obligés de faire très, très attention à tout ce qu’ils disent, et certaines personnes voient de l’arrogance là où il n’y a finalement que de la prudence. Il suffit que nous baissions la garde un instant pour que l’histoire se retrouve dans les journaux. Alors nous gardons nos distances: sinon, il se trouvera toujours un petit malin pour tout gâcher. Vous vous souvenez de ce qui est arrivé à José Mourinho récemment? Une femme qui se présentait comme supportrice de Chelsea lui a posé une question sur l’un de ses joueurs, il a répondu en toute honnêteté et le lendemain sa réponse s’étalait dans tous les journaux. Or les footballeurs sont devenus des actifs économiques trop précieux pour que l’on puisse se permettre de répondre honnêtement à toutes les questions que se pose le public.

Fausto: Si c’était à refaire, si vous reveniez dix ou quinze ans en arrière, choisiriez-vous de nouveau de devenir footballeur professionnel? Et comment réagiriez-vous si votre fils vous annonçait qu’il voulait devenir footballeur?

Mon fils fera ce que bon lui semblera. S’il veut devenir footballeur, libre à lui. Mais je serai toujours sincère avec lui. Je lui dirai franchement s’il perd son temps ou s’il a ce qu’il faut pour réussir.

Pour ma part, si c’était à refaire, je m’inscrirais à la fac et je suivrais des cours en commerce, en économie ou en management. J’ai toujours eu le sens des affaires et je suis persuadé que j’aurais pu faire un carton si j’avais eu les compétences nécessaires pour valoriser mes idées et mon enthousiasme. J’aurais aussi adoré voyager quand j’avais une vingtaine d’années. Mais le problème avec le football, c’est que vous êtes coincé, à moins d’avoir les c… de tout arrêter.

PR: Outre votre épouse, votre manager et votre éditeur au Guardian, combien de personnes savent que vous êtes «The Secret Footballer»? Et quand vous aurez raccroché les crampons, puisqu'on ne pourra plus vous reprocher dans le vestiaire ni sur les terrains d’avoir trop parlé, direz-vous publiquement que vous étiez «The Secret Footballer»?

Mon idée a toujours été d’enlever mon masque de «Secret Footballer» après avoir publié tous les livres que j’ai envie d’écrire. Deux sont déjà sortis, il en reste deux autres. Mais mes avocats m’ont tous dit que je m’en étais pris à tellement de personnes dans ces deux premiers livres qu’il fallait que je m’attende à être attaqué en justice de tous les côtés une fois que j’aurai fait mon «coming out». Et quand je relis ce que j’ai écrit pour le troisième, qui sort à la fin de l’année en Angleterre, je me dis que je suis bien parti pour me faire encore plus d’ennemis. Pour l’instant, huit autres footballeurs savent que je suis le «Secret Footballer»: chacun d’entre eux me donne des infos de première main sur ce qui se passe dans leur club. Si j’ajoute une poignée d’amis très proches, il doit y avoir au total une petite trentaine de personnes qui sont au courant.

Philippe: Pensez-vous qu’il faudrait que tous les clubs aient l’obligation de suivre les mêmes règles financières?

Je ne suis pas un grand fan du fair-play financier. Nous sommes dans une économie de marché, non? Un propriétaire de club devrait avoir le droit de bâtir la meilleure équipe possible. Certains diront qu’il faut protéger les petits clubs de la faillite. Mais en cent ans, il n’y a qu’un ou deux clubs qui ont fait faillite en Angleterre! Il existe déjà tout un arsenal juridique qui empêche que les clubs tombent entre les mains de repreneurs qui n’auraient pas une assise financière suffisante, ou dont les fonds seraient douteux. Infliger une amende à Manchester City, c’est une farce! Je paye mon abonnement à Sky Sports tous les mois, j’ai envie de voir les meilleurs joueurs du monde en Premier League et je trouve incroyable que les clubs qui permettent cela soient sanctionnés.

DP: Comment réagiriez-vous si vous étiez démasqué et si votre nom arrivait en première page?

Impossible. Cela n’arrivera jamais. Tant que je ne déciderai pas de dire «OK, c’est moi, je suis le "Secret Footballer"», il ne pourra y avoir que des rumeurs ou des supputations. C’est ce que je préfère dans cette histoire: les gens croient savoir, mais ils ne savent pas.