INTERVIEWDocteur Jean-Pierre de Mondenard: «Il faut retirer la lutte antidopage du monde du sport»

Docteur Jean-Pierre de Mondenard: «Il faut retirer la lutte antidopage du monde du sport»

INTERVIEWL'ancien médecin du Tour de France estime que rien n'est fait pour contrecarrer le dopage...
Propos recueillis par B.V.

Propos recueillis par B.V.

Il ne voulait pas s’y rendre. Parce qu’au fond, ça «ne changera rien». Jean-Pierre de Mondenard, ancien médecin du Tour de France et farouche opposant au dopage depuis plus de trente ans, a pourtant été entendu par la commission d’enquête sur l’efficacité de la lutte antidopage en France mise en place récemment par le Sénat. Et il n’a pas été tendre. Interview.

Où se situe aujourd’hui la France dans l’échiquier mondial de la lutte antidopage?
Peut-être en tête des moins mauvais. Mais aucun pays n’est efficace dans la lutte antidopage…

Elle n’est pas satisfaisante en France?
Non. Les années suivant le début de la lutte antidopage, en 1965, la proportion de sportifs contrôlés positifs est passée de 50 à 1, 2 ou 3% et s’est stabilisée dans ces eaux-là. Depuis cette époque, les instances se félicitent de faire des milliers de contrôles pour aussi peu de cas positifs. La différence, c’est qu’à l’époque les coureurs étaient ignorants, ils ne savaient pas ce qu’étaient les contrôles. Mais depuis ils ont trouvé la solution pour tricher. Il existe des substances indécelables contre lesquelles on n’a pas les moyens de lutter. Depuis 1966, la lutte antidopage est impossible.

C’est fataliste…
Non, c’est objectif. Ca fait quarante-cinq ans que ça marche et rien ne pourra changer si on est toujours sur le même mode de lutte. Il faut retirer la lutte antidopage du monde du sport. Que ce soit le ministère des Sports ou les fédérations. Quand Lappartient (président de fédération française de cyclisme) avait critiqué Bordry (ancien président de l’AFLD, agence française de lutte contre le dopage) pour ses contrôles sur Armstrong en 2009, on voit bien qu’ils n’en ont rien à faire. Ce n’est pas l’objectif des fédérations de lutter contre le dopage. Est-ce que vous connaissez un jury d’assises où c’est la famille du prévenu qui le juge? Est-ce que vous connaissez un PDG délégué syndical? Eh bien on est en plein dedans… On demande au monde du sport de se tirer une balle dans le pied. Ca ne peut pas marcher.

L’AFLD ne remplit-elle pas ce rôle?
Ca ne me convient pas. L’AFLD comme l’Ama (Agence mondiale antidopage) sont l’émanation du monde du sport. La veille de leur nomination à la tête de ces agences, ils ne savent pas si dopage prend un ou deux «p», et le lendemain les médias les interrogent comme des spécialistes. On met des amateurs face à des professionnels. Car les sportifs sont plus professionnels pour se préparer aux contrôles, c’est l’effet pervers de la lutte. A la première localisation éventée (l’AFLD donne trois chances au sportif en cas d’absence à un contrôle inopiné), il faut mettre deux ans. Pourquoi mettre six mois pour trois localisations? Et après les présidents de club disent que ce n’est pas du dopage mais de l’insouciance… C’est pas sérieux.

Qu’est qui pourrait être concrètement fait, alors?
Déjà, il faut augmenter le nombre de contrôles inopinés, qui sont les seuls qui marchent. De plus, il faut qu’une personnalité politique, qui n’a rien à voir avec le sport, se détache et mène le combat. Mais je n’en vois pas en France. Sans doute faut-il faire comme en Allemagne et avoir un message fort. Leurs contrôles ne sont pas plus efficaces, mais c’est le seul pays qui a supprimé son Tour national, depuis 2008, et qui ne diffuse plus le Tour de France. Mais ils ont l’appui du public allemand, plus réceptif à ce genre de dérives.

Ce ne serait pas possible en France?
Pourquoi pas? Je ne pense que le public français accepte de faire la promotion de la triche. Il y a des éléments objectifs qui montrent qu’à chaque fois qu’il y a des affaires de dopage, le public se détourne du sport, notamment au niveau des audiences. Le public n’est ni dupe ni malléable.