65 ans après, l'Alsace renoue avec ses «Malgré Nous»
HISTOIRE•120.000 Alsaciens et Mosellans furent incorporés à la Wehrmacht pendant l'Occupation...© 2010 AFP
Soixante-cinq ans après, l'Alsace renoue avec ses «Malgré Nous»: une exposition, un livre et un film rappellent les années sombres de l'annexion allemande, où plus de 120.000 Alsaciens et Mosellans furent incorporés de force dans la Wehrmacht.
Ce chiffre représentait près de 10% de la population totale de la région: 40.000 de ces hommes, arrachés à leurs familles entre 1942 et 1945, ne sont jamais revenus, 10.000 d'entre eux sont toujours portés disparus.
Au musée Mémorial d'Alsace-Moselle, inauguré en 2005 pour retracer l'histoire de cette région dont certains habitants ont dû changer quatre fois de nationalité entre 1870 et 1945, une exposition exceptionnelle reconstitue, jusqu'au 11 novembre 2011, les terribles conditions de vie dans le camp soviétique de Tambov, à 400 km au sud-est de Moscou.
Démarche pédagogique
Plus de 15.000 «Malgré Nous» transitèrent par ce camp à la fin de la 2e guerre mondiale, avant d'être rendus à la France. Environ 2.000 y moururent. Le dernier ne revint en Alsace qu'en 1955.
80% à 90% des «Malgré Nous» avaient été expédiés par le pouvoir nazi vers le Front de l'Est.
«Depuis une dizaine d'années, on constate une volonté des collectivités locales de promouvoir une politique du souvenir», se félicite Alphonse Troestler, «Délégué à la Mémoire» de la région Alsace. «Notre démarche est pédagogique, surtout à destination des jeunes», explique-t-il.
L'exposition sur Tambov a été rendue possible par l'ouverture des archives russes, depuis 1995. Quatre mille nouveaux documents ont ainsi été mis à la disposition des chercheurs ces dernières années.
«Le temps de la réconciliation est venu»
En parallèle, un ouvrage collectif richement illustré, «Tambov», vient d'être publié par les éditions strasbourgeoises de La Nuée Bleue.
Une douzaine de spécialistes de cette période mettent en perspective le calvaire vécu par les prisonniers de ce camp de transit, dont très peu sont encore vivants aujourd'hui. «Les duretés de Tambov ont beaucoup imprégné la mémoire collective des Alsaciens, mais il importe de remettre cette réalité dans le contexte général, qui était terrible pour tout le monde, à commencer par les Russes», souligne Alphonse Troestler, pour qui «le temps de la réconciliation et celui de l'Histoire sont venus».
Sous le titre Vermisst, portés disparus, France 3 Alsace vient pour sa part de réaliser un documentaire d'une heure, rassemblant les témoignages poignants d'orphelins, épouses, frères ou soeurs de «Malgré Nous» disparus, sans sépulture connue. Ce film doit être diffusé courant novembre en Alsace, au niveau national l'année prochaine.
«Je n'ai pas connu mon père mais c'était un héros»
«C'est très important qu'à l'intérieur de la France on ait connaissance de ce qui s'est réellement passé ici», souligne l'historien alsacien Jean-Laurent Vonau.
«Je n'ai pas connu mon père, mais c'était un héros», résume les larmes aux yeux un orphelin aux cheveux blancs, bientôt septuagénaire, interrogé dans ce documentaire. «Il a sauvé sa famille en acceptant de partir seul sous la contrainte, sinon nous aurions tous été déportés», dit-il.
La mémoire des «Malgré Nous» reste cependant lourdement entachée par la tragédie d'Oradour-sur-Glane, relatée sans fard au Mémorial d'Alsace-Moselle. 642 habitants de ce village du Limousin furent massacrés le 10 juin 1944 par une unité SS qui comptait dans ses rangs 13 Malgré Nous, condamnés à des peines de prison en 1953, puis amnistiés. Un 14e Alsacien de ce groupe, engagé volontaire pour sa part, fut condamné à mort mais vit sa peine commuée.