INTERVIEWAffaire Grégory: «Il n’y a pas 36 hypothèses possibles»

Affaire Grégory: «Il n’y a pas 36 hypothèses possibles», estime l'un des premiers enquêteurs

INTERVIEWEtienne Sesmat a été l’un des premiers gendarmes à diriger l’enquête sur la mort de Grégory Villemin, 4 ans, tué en 1984…
Thibaut Chevillard

Propos recueillis par Thibaut Chevillard

En 1984, Etienne Sesmat était un jeune capitaine de gendarmerie. Il a été l’un des premiers enquêteurs à travailler sur l’affaire Grégory avant d’être dessaisi au profit de la police judiciaire. Trente-deux ans après les faits, il reste persuadé de l’innocence de Christine Villemin et porte ses soupçons sur Bernard Laroche, qui pourrait selon lui avoir des complices. Aujourd’hui, il a quitté la gendarmerie et est devenu directeur de la sûreté à la Régie des transports métropolitains, à Marseille. Auteur en 2006 du livre Les deux affaires Grégory, il revient pour 20 Minutes sur les derniers rebondissements de l’affaire.

Que vous inspirent les derniers rebondissements de l’affaire Grégory ?

Je suis satisfait que la justice se montre opiniâtre et déterminée à chercher la vérité dans la mesure du possible. Je suis satisfait de voir que les enquêteurs ont de nouveaux outils et de nouveaux éléments pour avancer. Ça se traduit par des gardes à vue, peut-être même des mises en examen. J’espère que tout ça va amener des gens à parler, que les langues vont enfin se délier.

L’attention de la justice se focalise sur Marcel et Jacqueline Jacob. Cela vous étonne-t-il ?

Non, pas du tout. Ce sont des gens qui sont géographiquement et socialement très proches du sujet, dans le village d’Aumontzey. Ce sont des personnes qui étaient très proches d’une personne qui a été mise en cause dans l’affaire [Bernard Laroche, le cousin de Jean-Marie Villemin que ce dernier a tué].

Pourquoi l’affaire n’a-t-elle toujours pas été élucidée, 32 ans après les faits ?

La justice a longuement travaillé sur cette affaire. Des magistrats dijonnais de haut niveau ont repris, pendant quatre ans, le travail bâclé par le juge Lambert à Epinal. Ils ont rendu un arrêt en février 1993 qui dit deux choses : premièrement, que Christine Villemin est innocente. Deuxièmement, qu’il existe à l’encontre de Bernard Laroche des charges très sérieuses. C’est la position de la justice et elle n’a jamais été contredite. Le problème, c’est que le principal mis en cause est mort, l’action publique est éteinte. Maintenant, si on trouve des complices, ça permettra peut-être d’en savoir plus.

« « Peut-être qu’on connaît déjà une partie de la vérité. Le dossier n’est pas vide, il est même très consistant » »

Est-ce que, selon vous, il sera possible de connaître un jour la vérité ?

Peut-être qu’on en connaît déjà une partie. Le dossier n’est pas vide, il est même très consistant. Il n’y a pas 36 hypothèses possibles. Il y en a eu seulement deux. La première, c’est la culpabilité de la mère. Mais la justice l’a complètement écartée. Et la seconde, c’est la piste que j’évoquais précédemment. Au bout de neuf ans, la justice avait conforté ce qu’on avait trouvé au bout de trois semaines.

Si c’était à refaire, travailleriez-vous différemment ?

L’affaire Grégory, c’est l’affaire Lambert. C’est essentiellement l’histoire d’un jeune juge d’instruction, préférant travailler avec les journalistes qu’avec les enquêteurs. Il a commis un nombre incalculable d’erreurs de procédures. Nous connaissions la faiblesse professionnelle de ce magistrat. Mais nous n’avons pas été suffisamment rigoureux pour exiger de lui une relation plus professionnelle. C’est le gros reproche qu’on peut se faire. Si on n’avait pas eu affaire à lui, l’affaire Grégory, on n’en parlerait plus aujourd’hui.

Vous avez écrit un livre sur l’affaire en 2006. Pourquoi était-ce important pour vous de livrer votre vérité ?

Les gens, pendant longtemps, ont raconté n’importe quoi sur cette affaire. La presse a beaucoup dit qu’on ne saurait jamais rien à cause des gendarmes qui avaient bâclé le travail au départ, notamment parce qu’ils étaient commandés par un jeune capitaine. La vérité est toute autre. J’ai voulu remettre les pendules à l’heure en expliquant comment on avait travaillé, ce qui avait été fait. Je l’ai fait pour rétablir mon honneur et celui de tous les gendarmes qui avaient travaillé sur l’affaire.