Le site d’annonces Vivastreet visé par une enquête préliminaire pour «proxénétisme aggravé»
INFO «20 MINUTES»•Elle a été confiée, le 15 février, à l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH)...Vincent Vanthighem
Les annonces évoquent des « massages », des « moments de relaxation » ou des « rencontres courtoises ». Mais un coup de fil de quelques secondes suffit à lever le doute. « C’est 120 euros la demi-heure, 180 l’heure. Je propose l’amour avec pénétration vaginale. Pas de sodo [sodomie] », indique de but en blanc Katia*, une jeune fille au français hésitant qui « reçoit » dans le 12e arrondissement de Paris.
Selon nos informations, le site de petites annonces Vivastreet fait l’objet d’une enquête préliminaire pour « proxénétisme aggravé » ouverte par le parquet de Paris. Confiée le 15 février à l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), elle fait suite à une plainte déposée, le 1er décembre 2016, par le mouvement du Nid qui milite pour l’abolition de la prostitution.
Des propositions suggestives en deux clics
« Depuis l’entrée en vigueur de la loi pénalisant les clients de prostituées il y a un an, on s’est aperçu que le phénomène se déplaçait de la rue vers les sites d’annonces tels que Vivastreet, justifie Lorraine Questiaux, déléguée du Nid pour l’Ile-de-France. Ce ne sont pas les mêmes réseaux. Mais le problème est identique. Tout cela est d’une grande hypocrisie. »
Revendiquant 32 millions de visiteurs par mois dont 10 millions rien qu’en France, Vivastreet interdit, dans ses conditions d’utilisation, les annonces proposant noir sur blanc « d’échanger des relations sexuelles contre rémunération ». Mais deux simples clics suffisent à faire défiler, photos suggestives à l’appui, des propositions dont l’ambiguïté ne dupe personne. Le premier pour sélectionner « Services Adultes ». Le second pour la région souhaitée.
Angélique*, 21 ans, a même indiqué son arrondissement parisien. « C’est un bon système, défend celle qui se prostitue, chez elle, en raison de problèmes financiers survenus il y a deux mois. Dans la rue j’aurais peur. Mais là, mon numéro est sous l’annonce. On me contacte par téléphone, j’indique les tarifs, les prestations et on prend rendez-vous. Je regarde par la fenêtre quand le client arrive. Si ça ne me convient pas, je n’ouvre pas… »
« Vivastreet s’engraisse sur mon activité »
Un « système » qui a un prix. Vivastreet se targue d’être un site d’annonces gratuites. A l’exception de la rubrique « Services Adultes » où le dépôt est, là, facturé 80 euros par mois. « Mais il y a tellement de concurrence entre les filles et donc d’annonces qu’il faut payer des options sinon la photo n’est pas ‘’mise en avant’’ sur le site, témoigne Céline*. Au total, cela me coûte 239 euros par semaine. Vivastreet s’engraisse sur mon activité. Mais sans ça, je serais dans la merde… »
Proposant des rendez-vous de 9h à 20h dans un hôtel de Seine-et-Marne depuis quatre ans, cette mère de famille trentenaire refuse d’indiquer combien elle gagne en vendant son corps. Angélique, elle, estime ses revenus à 3.000 euros par semaine par le biais unique du site d’annonces. « Je reçois entre 10 et 20 coups de fil par jour. Mais je ne donne pas suite à toutes les demandes. »
Le fondateur de Vivastreet a domicilié son groupe à Jersey
Avocate de Vivastreet, Anne Alcaraz dément, pourtant, toute volonté délibérée de la part de son client d’encourager la prostitution. « Il y a un système de modération automatique des annonces, un logiciel, explique-t-elle. Si l’annonce correspond à la réglementation, elle passe. Ensuite, Vivastreet dispose d’une équipe spécialisée. Si une annonce est signalée [par un internaute] parce qu’elle contrevient à la réglementation, l’équipe la supprime immédiatement. »
« Massages », « accompagnement », « domination », « castings adultes »… Les « Services Adultes » proposés en ligne dans la plupart des 8.000 annonces recensées par 20 Minutes en ce mois d’avril se contentent donc de suggérer les choses. Un texto les rend immédiatement explicites.
« Le but est bien sûr de faire fermer ce site mais pas seulement, réagit Joachim Bokobza, l’un des avocats du Nid. Pour éviter de donner des idées à d’autres, nous espérons aussi que les responsables de Vivastreet soient amenés à répondre de leurs actes. » Et parmi eux, Yannick Pons, le fondateur du site. Classé parmi les 500 plus grosses fortunes de France en 2013, ce self-made-man a domicilié son groupe dans le paradis fiscal de Jersey et vivrait aux Etats-Unis.
Rien d’incompatible avec une convocation par la justice a priori. De source proche du dossier, on indique en effet que « l’enquête avance bien » et que « les premières auditions pourraient intervenir prochainement ». « Si Yannick Pons était convoqué par la justice, il se rendrait évidemment à cette convocation », assure, à ce propos, Anne Alcaraz.
* Les prénoms ont été changés.