Peut-on placer en centre de rétention les personnes fichées «S» comme le souhaitent des élus de droite?
TERRORISME•Plusieurs élus de droite, Laurent Wauquiez en tête, veulent créer des centres de rétention pour enfermer les personnes faisant l’objet d’une fiche « S », sûreté du territoire…Caroline Politi
«Le droit n’est pas une faiblesse. Il est notre force. La démocratie ne nous lie pas les mains. C’est pour sa préservation que nous nous battons. » Dans une tribune publiée ce jeudi dans Le Monde, le ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, a répondu aux multiples attaques de l’opposition sur leur supposé laxisme dans la lutte contre le terrorisme. Parmi les mesures phares portées par la droite, la création de centres de rétention pour les personnes fichées « S ». Un amendement en ce sens a même été adopté par la commission des lois avant le dernier débat sur la prorogation de l’état d’urgence. Une telle disposition est-elle envisageable ? 20 Minutes fait le point.
Qu’est-ce qu’une fiche S ?
Si on en parle aujourd’hui quasiment exclusivement dans les affaires de terrorisme, le fichier « S » - atteinte à la sûreté de l’Etat - est en réalité beaucoup plus « fourre-tout » qu’il n’y paraît. Entre 11.000 et 13.000 personnes y figureraient. Parmi eux, des individus radicalisés mais aussi des hooligans, des militants contre l’aéroport Notre-Dame-des-Landes, des identitaires, des antifas… Pour s’y retrouver, le fichier est divisé en 16 sous-catégories : de S1 à S16. Cette répartition ne correspond en rien à la dangerosité mais plutôt au type de personnes fichées et aux mesures afférentes (vérifier l’identité, fouiller la voiture, relever l’identité des personnes présentes avec l’individu…). Le S14 correspond, par exemple, aux combattants partis au front ou ayant montré des velléités d’y aller.
Parler de la fiche S dans son ensemble n’a donc aucun sens. La droite fait évidemment référence aux personnes repérées pour « radicalisation », mais là encore les profils sont extrêmement variés. Certains sont derrière les barreaux, d’autres font l’objet d’une surveillance particulièrement resserrée (filature, écoutes…). Mais tous ne sont pas des terroristes en puissance : peut être fichée S une personne qui fréquente une mosquée réputée salafiste, un individu signalé par les services de renseignement étrangers, des personnes ayant voyagé dans un pays en guerre…
Par ailleurs, selon certains experts, la création de tels centres mettrait un sérieux coup de frein aux enquêtes. Surveiller des personnes actives à leur insu permet, au minimum d’étoffer leur dossier en vue de le transmettre à la justice, au mieux de démanteler des réseaux. Enfin, enfermer toutes les personnes fichés S n’est pas synonyme de risque zéro : l’auteur de l'attentat perpétré à Nice, Mohamed Lahouaiej Bouhlel était inconnu des services de renseignements.
Juridiquement, peut-on enfermer les fichés S ?
Au-delà même de l’efficacité, les centres de rétention posent problème sur le plan du droit. « D’un point de vue purement procédural, on pourrait envisager qu’une autorité prive une personne de liberté si un juge judiciaire contrôle cette décision sous trois à cinq jours », explique Nicolas Hervieu, juriste en droit public au Credof.
En revanche, cette mesure est totalement inapplicable sur le fond : on ne peut pas priver quelqu’un de liberté durablement sur la base de simples soupçons. L’article 66 de la Constitution interdit toute détention arbitraire. « Cet article est le pivot de notre constitution, notre Habeas Corpus. C’est l’interdiction des lettres de cachet : il faut des motifs sérieux pour enfermer quelqu’un », poursuit le juriste. En clair : s’il y a suffisamment d’éléments contre une personne, la justice peut le mettre en examen assorti d’une détention provisoire. Si ce n’est pas le cas, la détention sera considérée comme arbitraire.
Une modification de la constitution est-elle envisageable ?
Au-delà même de notre constitution, le fait de ne pas être enfermé sur la foi de simples présomptions est garanti par l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme. « C’est un principe qu’on retrouve dans quasiment tous les textes auquel adhère la France, note Nicolas Hervieu. Le pacte des Nations Unis de 1966, la charte des droits fondamentaux et évidemment la convention européenne… » Donc, à moins de sortir de l’Union Européenne, de l’ONU et de toutes les institutions, il y a peu de chance que ce principe évolue.
Pourquoi les centres de rétention pour étranger sont-ils autorisés ?
L’an dernier, près de 48 000 sans-papiers – dont 4300 enfants - ont été placés dans des centres de rétention administratif en attendant que les autorités statuent sur leur cas. C’est d’ailleurs en s’inspirant de ces centres que la droite a fait sa proposition pour les fichés S. Pourquoi ce type d’établissement est autorisé ? « Ils sont tolérés par exception par la Cour européenne des droits de l’homme car il n’y a pas de privation perpétuelle de liberté, explique Nicolas Hervieu. La détention est courte et a pour objectif l’éloignement du territoire ».
Quelle est la différence avec l’assignation à résidence des fichés S ?
Juridiquement, l’assignation à résidence n’est pas une privation de liberté comme le centre de rétention mais une restriction de liberté. 77 personnes sont actuellement soumises à une telle mesure dans le cadre de l’Etat d’urgence. La personne soumise à une telle mesure doit pointer parfois plusieurs fois par jour au commissariat mais peut sortir de chez elle.