Attentats: Faut-il rendre public le nom des terroristes?
TERRORISME•Une pétition ayant recueilli plus de 65.000 signatures réclame l’anonymat des auteurs des actes terroristes. Objectif : ne pas rentrer dans une héroïsation des bourreaux…Caroline Politi
«Voir la photo de ce salopard à côté de celle de mon fils, c’était insoutenable ». Pendant des mois, Albert Chennouf-Meyer s’est battu pour que le cliché tout sourire de Mohamed Merah, le bourreau de son fils, n’apparaisse plus en Une des médias. Abel, son aîné, fait partie des militaires tués à Montauban par le tueur au scooter en 2012. Combien de fois l’a-t-on vu dans les journaux ? « Pas souvent ». Aujourd’hui, le père de famille a baissé les bras. « Je suis passé à autre chose, de toute façon, je n’y peux pas grand-chose », explique-t-il, désabusé. Toutes les victimes ne partagent pas son désarroi en voyant le portrait des djihadistes. « Voir la bobine de Salah Abdeslam à la télé ne me fait ni chaud ni froid », assure Georges Salines, père d’une victime du Bataclan et président de l’association 13 novembre : fraternité et vérité. Et de préciser : « Je comprends bien que ce soit dur pour certains mais pour moi c’est une question dérisoire. »
Pétitions
Faut-il donner le nom des auteurs d’actes terroristes, laisser leur photo s’étaler en Une des journaux ? Après l’attaque perpétrée à Nice le 14 juillet, une nouvelle pétition diffusée sur le site Change.org a relancé le débat. « Je lance aujourd’hui un appel aux médias nationaux : cessez de diffuser l’identité des terroristes ! Cela n’apporte rien, mis à part une notoriété d’outre-tombe pour l’auteur ou les auteurs de massacres », justifie l’auteur. Sa démarche est loin d’être inédite. D’autres pétitions avaient tourné après l'attaque contre Charlie Hebdo ou les attentats du 13 novembre. Mais jamais aucune n’avait recueilli autant de signatures : plus de.65 000 en une semaine. Une proposition reprise par Bernard-Henry Levy sur Twitter.
Selon les partisans de l’anonymat, diffuser l’identité des djihadistes est justement ce que recherche l’organisation terroriste Etat islamique et participe au processus d’héroïsation des tueurs. Preuve en est : les noms des bourreaux - Merah, Abdeslam, Kouachi, Coulibaly… - sont plus célèbres que ceux de leurs victimes. « Il faut réfléchir à des moyens de donner de l’information sans forcément livrer tous les détails de l’identité ou de la biographie du terroriste », a reconnu le 21 juillet Juliette Méadel, la secrétaire d’Etat chargée de l’Aide aux victimes, dans une interview à Metronews.
Les djihadistes ont leur propre moyen de communication
D’un point de vue pratique, empêcher la diffusion des noms et des photos semble totalement impossible. Le droit à l’information est garanti par la constitution. « Même en légiférant sur le sujet, des informations sortiront dans la presse étrangère », assure, réaliste, Aline Lebail-Kremer, de l’association française des victimes du terrorisme. Mais surtout, ne donner aucune information risque d’entretenir mythes et fausses rumeurs : en cachant les identités, l’opinion aurait le sentiment qu’on cherche à lui cacher quelque chose. D’autant que l’organisation Etat islamique a sa propre agence de presse qui relaye les revendications des terroristes, leurs identités… La propagande circule ensuite sur Internet à la manière des médias traditionnels.
Pour le journaliste David Thomson, auteur des Français djihadistes (Les Arènes, 2014) et spécialiste de la question, cacher le nom des auteurs des attaques n’aurait aucun effet dissuasif. « Le processus d’héroïsation se fait lui aussi au sein de la djihadosphère. Elle compte déjà de nombreux héros que le grand public ne connaît pas », assure le journaliste dans une tribune dans Libération. La célébrité et la reconnaissance sont avant tout recherchées parmi les leurs et non dans la société civile. « Ils sont d’abord des héros - positifs - aux yeux des leurs ; à l’extérieur, l’héroïsation se fait de façon négative ».
Pour les victimes également, suivre les avancées de l’enquête participe au travail de reconstruction. Même si les juges d’instruction organisent de temps en temps des points d’étape, les médias sont un moyen plus régulier de se tenir au courant. « Nous voulons comprendre ce qu’il s’est passé, même si certaines informations sont particulièrement éprouvantes », explique Georges Salines, qui en appelle malgré tout au « bon sens » et à la « décence » des médias. « La question n’est pas d’en parler ou pas mais de comment le faire, assure Aline Lebail-Kremer. Les faits oui, le sensationnalisme pour faire vendre, c’est insupportable ».