Attentats du 13 novembre: «La moindre des choses serait que les familles des victimes soient exonérées d’impôts cette année»
INTERVIEW•Emmanuel Domenach, rescapé du Bataclan et vice-président de l'association «13 novembre: fraternité et vérité» fait le point sur les difficultés financières des victimes...Propos recueillis par Delphine Bancaud
Depuis le 13 novembre, beaucoup de rescapés et de familles de victimes des attentats de Paris sont en proie à des difficultés financières. Emmanuel Domenach, rescapé du Bataclan et vice-président de l’association « 13 novembre : fraternité et vérité » s’est exprimé sur Twitter ce mardi pour raconter la détresse de certains d’entre eux après avoir reçu leur déclaration d’impôts. Il revient sur le sujet dans 20 minutes.
Selon vous, la réception des déclarations d’impôts 2016 a été douloureusement vécue par les rescapés du 13 novembre et par les familles de victimes…
Oui, car les personnes qui ont perdu un conjoint le 13 novembre, ont pris conscience qu’elles allaient devoir régler les impôts relatifs à leurs revenus perçus entre janvier et novembre 2015, alors qu’il n’y a plus qu’un salaire, voir plus de salaire du tout pour faire vivre le foyer. Les parents d’enfants décédés lors des attentats ont aussi reçu la déclaration d’impôts de leur fils ou de leur fille disparu. Et tout cela sans aucun égard de la part du Trésor public pour leur situation, sans même un mot d’accompagnement. Quant aux rescapés qui sont blessés physiquement et ou/psychiquement et qui exerçaient une activité en libéral avant le drame, leurs revenus ont parfois beaucoup chuté depuis car ils sont ou ont été en incapacité de travailler. Ils doivent pourtant s’acquitter des impôts correspondant à leurs revenus d’avant. Certains d’entre eux ne peuvent pas payer et d’autres ne le veulent pas, car ils estiment que les victimes des attentats ont toutes été touchées au nom de la France et que l’Etat doit donc les aider.
Que demande votre association sur ce point ?
La moindre des choses serait que les familles de victimes décédées soient exonérées d’impôts concernant les revenus de l’année 2015. L’association a déjà demandé des délais de paiement et des réductions d’impôts pour certaines personnes, mais cela ne suffit pas. Nous souhaitons donc rencontrer des représentants du ministère des Finances pour avancer sur ce point. Car les familles qui avaient déjà des difficultés financières avant les attentats, risquent d’en avoir encore plus.
Qu’ont touché les victimes et leurs familles depuis le drame ?
Le fonds de garantie des victimes du terrorisme (FGTI) a effectué un premier versement à toutes les victimes reconnues dans les deux mois après l’attentat. Pour certaines d’entre elles, cette somme a été suffisante pour faire face à leurs dépenses. Mais pour d’autres, cela n’a pas été le cas. Celles qui étaient au courant de la possibilité de demander une autre provision au FGTI l’ont fait. Mais beaucoup ignorent cette possibilité et sont toujours dans une situation financière critique. C’est le cas notamment des blessés qui ne peuvent plus exercer leur métier ou habiter dans le même logement qu’avant en raison de leur état de santé. Par ailleurs, certaines familles ont déjà reçu une proposition d’indemnisation. Mais elles la font généralement analyser par un avocat, ce qui peut prendre beaucoup de temps.
Et comment les familles de victimes ou les rescapés financent-ils leurs frais d’avocats ?
Certains peuvent bénéficier de l’aide juridictionnelle, mais cela ne permet pas d’avoir un avocat spécialisé dans les questions d’indemnisation car peu d'avocats de ce type acceptent de les assister au titre de l'aide juridictionnelle . Du coup, 90 % des familles n’ont pas profité de l’aide juridictionnelle et ont sollicité leur propre avocat. Soit ce dernier ne demande pas d’avance et accepte d’être rémunéré une fois que l’indemnisation définitive sera versée (il demande alors 9 ou 10 % de la somme). Soit l’avocat veut percevoir une partie de ses honoraires tout de suite, ce qui n’est pas évident pour les victimes. Sans oublier le fait qu’elles doivent souvent s’offrir les services de deux avocats : un spécialisé sur les questions d’indemnisation et un autre en droit pénal. L'association a donc demandé à l'Etat et au FGTI une prise en charge des frais d'avocat des familles, mais cela nous a été refusé.
En parlant de frais de justice, comment réagissez-vous face à l’histoire de cette mère de victime qui menace de ne pas payer ses impôts si l’Etat finance les frais de justice de Salah Abdeslam ?
Sa réaction est compréhensible. Mais ce qui nous tient à cœur à l’association, c’est que la justice française conserve ses valeurs et qu’il n’y ait pas de traitement d’exception, même pour Salah Abdeslam. Il a le droit à un procès équitable, comme tout autre justiciable.