TENSIONSCorse: Pourquoi la violence se déchaîne-t-elle sur cette île?

Corse: Pourquoi la violence se déchaîne-t-elle sur cette île?

TENSIONSSur l’île de beauté, le début de semaine a été marqué par les affrontements entre jeunes et forces de l’ordre…
Céline Boff

Céline Boff

Depuis trois jours, lycéens et étudiants bloquent l’université de Corte (Haute-Corse). Des affrontements ont opposé manifestants et forces de l’ordre à Bastia dimanche et lundi et mardi à Corte, où des scènes de guérilla urbaine ont eu lieu. Un policier et une gendarme ont été blessés aux cours de ces heurts. Comment expliquer ces tensions en Corse ? 20 Minutes fait le point.

Pourquoi la jeunesse corse manifeste-t-elle ?

Avant tout pour soutenir Maxime Beux, supporter bastiais de 22 ans, grièvement blessé à l’œil samedi soir à Reims lors de heurts avec la police, dans des circonstances encore floues. Reste que, comme le souligne Marie Peretti-Ndiaye, docteure en sociologie, « ce n’est pas la jeunesse corse qui se mobilise, mais seulement une partie de la jeunesse nationaliste ». Et si cette dernière se montre si empathique avec Maxime Beux, c’est parce qu’elle se vit comme « une victime de l’oppression coloniale française. Elle a l’impression d’être insultée et attaquée en toute impunité par les forces de l’ordre », analyse Xavier Crettiez, professeur de sciences politiques à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.



Pour Gilles Simeoni, président de la Collectivité territoriale de Corse, « il y a aussi, en arrière-plan, une situation de tension avec des jeunes qui aujourd’hui ont l’impression d’une impasse politique et économique ». « C’est vrai : la Corse est la région où le taux de pauvreté est le plus élevé, après le département du Nord, et elle est aussi le territoire où les inégalités économiques sont les plus fortes », abonde Xavier Crettiez.

Les nationalistes attisent-ils ces mouvements ?

Les experts interrogés par 20 Minutes ne le pensent pas. En revanche, Xavier Crettiez estime qu’ils ont été « contraints de se positionner » : « Les nationalistes ont pris le pouvoir en Corse et ils se retrouvent pour la première fois en situation de gérer une région. Les élus nationalistes cherchent à afficher dans leur soutien aux violents leurs racines contestataires ».

Mais, comme le souligne Marie Peretti-Ndiaye, « les élus nationalistes ont intérêt à ce que la situation soit plus calme au vu des enjeux économiques et sociaux colossaux auxquels ils doivent faire face ». Et auxquels ils vont devoir trouver des avancées rapides, vu que leur mandat ne durera que deux ans. La Corse deviendra en effet le 1er janvier 2018 une collectivité unique, issue de la fusion de la collectivité territoriale et des conseils départementaux de Corse-du-Sud et de Haute-Corse, ce qui imposera de nouvelles élections.

Ces événements ont-ils un lien avec les mouvements anti-maghrébins de décembre ?

« Non, dans la mesure où les événements anti-maghrébins s’étaient déroulés à Ajaccio et qu’actuellement, les faits surviennent à Bastia et à Corte », répond Xavier Crettiez. De plus, « les revendications ne sont pas les mêmes : à Ajaccio, les Corses se mobilisaient en soutien aux forces de l’ordre, là, ils sont en opposition à elles », insiste Marie Peretti-Ndiaye. Mais il y a des similitudes dans ces bouillonnements : les difficultés économiques et les interrogations autour de la thématique identitaire, avancent les deux chercheurs.

Faut-il pour autant s’attendre à une multiplication des violences ? Xavier Crettiez le redoute et y voit un lien avec le FLNC : « En donnant une arme et une cagoule à ses membres, ce mouvement leur offrait aussi une reconnaissance sociale. Maintenant que le FLNC a déposé les armes, la contestation est contrainte de prendre d’autres formes et actuellement, elle prend celle d’une violence sociale plus anarchique ». Pour autant, ces mobilisations ne sont pas des nouveautés, comme le souligne Marie Peretti-Ndiaye : « Ces quinze dernières années en Corse, des tensions sociales il y en a eues, que ce soit avec les forces de l’ordre, les immigrés ou autour du football. »

Ce mouvement ne s’apparente-t-il pas aux émeutes des banlieues ?

« Il y a dans les deux cas un sentiment périphérique qui s’exprime, tout comme un manque de confiance dans les institutions. Il y a aussi l’idée que le rapport de force est nécessaire », répond Marie Peretti-Ndiaye. Et d’ajouter : « Mais les émeutes de 2005 n’avaient pas d’assise syndicale. » Xavier Crettiez est sur la même ligne : « En Corse, les soulèvements prennent immédiatement une tournure politique, mettant en scène le nationalisme corse contre le centralisme jacobin. La conséquence est que ce combat peut être repris par les élus politiques, ce qui n’est jamais le cas en banlieue. »