Prolongation de l'état d'urgence: «Une épée de Damoclès planant sur nos libertés»?
REFORME•Le Conseil d’État doit se prononcer ce mercredi sur une requête de suspension du dispositif, que souhaite prolonger l’exécutif…Thibaut Le Gal
Faut-il maintenir l’état d’urgence ? François Hollande souhaite prolonger de trois mois le dispositif exceptionnel instauré après les attentats du 13 novembre, qui arrive à échéance le 26 février prochain. Plusieurs acteurs s’inquiètent toutefois de son maintien. Le Conseil de l’Europe a récemment fait part de sa « préoccupation ». En France, le Conseil d’État doit se prononcer ce mercredi sur une requête de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) pour « suspendre tout ou partie de ce régime ».
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« L’état d’urgence n’a pas vocation à s’installer sur le long terme »
L’association était soutenue dans sa démarche par la CGT police, le Syndicat de la magistrature et 450 universitaires, parmi lesquels Serge Slama, maître de conférences en droit public à l’université Paris Nanterre. « Il est temps de rétablir l’état de droit normal. La menace terroriste existera toujours dans trois mois, puis il y aura l’Euro de football, la présidentielle… L’exécutif est pris au piège et risque de prolonger l’état d’urgence de manière perpétuelle », s’inquiète le spécialiste. « Le dispositif est une épée de Damoclès planant sur nos libertés ».
« Pour @combatsdh l’état d’urgence est "une épée de Damoclès" pic.twitter.com/dj9qDNOvNz — Camille Bordenet (@camillebordenet) January 26, 2016 »
L’état d’urgence offre des pouvoirs étendus à la police. Celle-ci peut notamment perquisitionner de jour comme de nuit ou assigner à résidence sans le contrôle préalable d’un juge. « Juridiquement, l’état d’urgence n’a pas vocation à s’installer sur le long terme, car les conditions de "péril imminent" ne sont pas établies », poursuit Serge Slama. « De plus, l’efficacité de la mesure, sauf dans les tout premiers jours, n’est pas démontrée. Les rapports montrent qu’il y a eu une perte d’efficacité des instruments au fil du temps ».
« L’effet de surprise est largement estompé »
Après plus de deux mois d’instauration, le bilan comptable est discuté. 3 189 perquisitions et 392 assignations à résidence ont bien été effectuées (au 21 janvier). Mais sur les 549 procédures ouvertes, seules 5 concernent des associations de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, dont une information judiciaire.
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« Les principales cibles et objectifs ont (déjà) été traitées. L’effet de surprise est largement estompé. Les personnes concernées sont pleinement préparées aux perquisitions éventuelles à venir », reconnaissait le député PS Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois, le 13 janvier. « Arrêter l’état d’urgence ne sera pas synonyme d’une moindre protection », avait-il ajouté.
La représentante du ministère de l’Intérieur, Pascale Léglise, a toutefois justifié le maintien de l’état d’urgence devant le Conseil d’Etat mercredi. « On est dans la prévention d’un risque majeur et le juge judiciaire n’a pas à intervenir à ce stade », a-t-elle expliqué, citant notamment la récente vidéo de menace de l’Etat islamique.
Difficile équilibre entre mesures sécuritaires et contrôle judiciaire
« La prolongation est nécessaire pour la poursuite des mesures que le gouvernement engage. Reste à savoir s’il y a proportionnalité entre les atteintes portées aux libertés et les nécessités à l’ordre publique », estime Bertrand Mathieu, professeur de droit constitutionnel à Paris I et ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature.
« A l’heure actuelle, la prolongation fait intervenir le législateur. Si la révision constitutionnelle était votée, il n’y aurait plus de limitation dans la durée. D’une manière générale, les lois d’état d’urgence seront plus largement couvertes par la Constitution ».
Le gouvernement prépare actuellement une batterie de textes pour installer certaines mesures de l’état d’urgence dans la durée, malgré les critiques sur le difficile équilibre entre mesures sécuritaires et contrôle judiciaire. Le projet de loi prolongeant l’état d’urgence sera lui débattu et voté le 9 février au Sénat, puis le 16 février à l’Assemblée nationale.
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