Attentats à Paris: Les frères Abdeslam, experts de la dissimulation
TERRORISME•Les deux djihadistes installés en Belgique se sont faits discrets ces derniers mois...Nicolas Beunaiche
Ils jurent n’avoir rien vu venir. Interrogés par les médias, les proches et les connaissances des frères Abdeslam, deux des djihadistes qui ont frappé Paris vendredi, relatent à peu près tous le même récit : celui d’une famille sans problème, de jeunes au mode de vie occidental et au casier judiciaire rempli de petits délits. D’individus discrets, surtout.
La propriétaire de la maison louée à Bobigny (Seine-Saint-Denis) par Brahim Abdeslam, qui s’est fait sauter boulevard Voltaire à Paris, décrit, elle, « des gens sympas, corrects, bien habillés », qui ne portaient « pas de barbe, pas de djellaba », sans préciser de qui le kamikaze du boulevard Voltaire était accompagné. « Ils n’ont rien laissé paraître », a-t-elle dit à Europe 1, ses locataires se présentant comme de simples cadres d’une société belge en voyage d’affaires. Le contraire aurait étonné. Mais l’épisode dit tout de même quelque chose de ces djihadistes capables d’enfiler différents costumes et de jouer la comédie pour tromper le monde.
Le trafic oui, si ça sert l’islam
A Molenbeek, en Belgique, les deux frères sont connus pour leur foi. Salah, suspect-clé toujours traqué par les enquêteurs, par exemple, « ne manquait pas à ses obligations », il priait et ne buvait pas, selon le troisième frère, Mohamed, interrogé par BFMTV. Il se rendait de temps en temps à la mosquée. Mais il s’habillait normalement, il ne portait pas de tenue qui laissait penser qu’il s’était radicalisé, ajoute-t-il.
Dans La Dernière Heure, un ami le décrit aussi comme un fan de football, avec qui « on fume un petit pétard et on sort dans les boîtes à Bruxelles pour s’amuser ». Sans alcool, toutefois. Son frère Brahim est, quant à lui, propriétaire d’un café entre 2013 et septembre dernier. Un établissement que la police accusait, en août, d’être en réalité un coffee-shop où circulent des « substances hallucinogènes prohibées ».
La pratique est en théorie prohibée par Daesh, mais… « Dans la doctrine djihadiste, la finalité légitime l’action, nuance Mathieu Guidère, islamologue et spécialiste des mouvements radicaux. On peut donc faire du trafic si cela sert le djihad. » Et fumer soi-même ? L’intérêt pourrait être ailleurs et participer de la stratégie des terroristes pour « couvrir leur réseau », estime Farhad Khosrokhavar, directeur d’études à l’EHESS. Car la petite délinquance permet indirectement de sortir des radars des services de renseignement…
Look de « caïds »
Cette stratégie, connue sous le nom de taqiya, consiste à l’origine à cacher ses convictions pour survivre, et les djihadistes l’ont adoptée pour arriver à leurs fins dans les pays gouvernés par des non musulmans. Interrogé sur France 24 au sujet de Merah, en 2013, le juge antiterroriste Marc Trévidic en faisait une difficulté majeure des services de renseignement. Il expliquait alors que les terroristes jouent sur la stigmatisation des « caïds » de banlieue en imitant leur look et leur mode de vie. Ainsi Mohamed Merah, comme Salah Abdeslam d’après l’un de ses amis, fumait-il parfois et sortait-il en discothèque quelques jours avant les tueries de Toulouse et Montauban.
« Les services de renseignement les détectent quand ils se radicalisent, puis ils se font oublier les derniers mois avant de passer à l’acte et gomment tous les signes ostentatoires de radicalisme », analyse Mathieu Guidère. Le temps pour eux de se préparer à frapper. Ces derniers mois, les renseignements belges n’avaient, semble-t-il, rien remarqué de suspect dans le comportement des frères Abdeslam.