REPORTAGEAttentats à Paris: «On est venus pour ne pas rester seuls»

Attentats à Paris: «On est venus pour ne pas rester seuls»

REPORTAGEAu lendemain des attaques qui ont fait au moins 128 morts à Paris, des centaines de personnes ont souhaité se recueillir dans les Xe et XIe arrondissements…
Laure Cometti

Laure Cometti

La nuit est tombée sur les Xe et XIe arrondissements de Paris, aux rues plus silencieuses et calmes que la normale en ce samedi soir. Ces quartiers ont été vendredi la cible de plusieurs attaques armées revendiquées par l’organisation de l’Etat islamique. En famille, entre amis, en couple, les badauds, dont beaucoup de jeunes, sont spontanément venus ce samedi rendre hommage aux victimes aux abords des lieux visés par les terroristes, malgré l'interdiction de manifester décrétée par la préfecture de police.

Des personnes rassemblées devant La belle Equipe, 92 rue de Charonne à Paris, le 14 novembre 2015. - Laure Cometti /20 Minutes

« Ce café, c’était notre QG »

Il est 17 h 30. A l’angle de la rue de Charonne et de la rue Faidherbe, environ 200 personnes se sont attroupées devant le bar La Belle Equipe, où au moins 19 personnes sont mortes vendredi soir, après que des hommes ont tiré à l’arme automatique sur des clients en terrasse. Il faut se faufiler entre les camionnettes de chaînes télé venues du monde entier pour s’approcher de la devanture de l’établissement, où flotte une douce odeur de cire. De nombreuses bougies ont été déposées et les bouquets de fleurs s’amoncellent. Certains sont épinglés de messages : « A notre ami Guillaume », « Aux victimes ». Dans le silence, les gens se recueillent. Une femme sanglote.

Des impacts de balle dans la vitrine de la pâtisserie voisine, rue de Charonne. - Laure Cometti/20 Minutes

Une riveraine est venue avec son fils pour déposer une rose blanche. Elle habite au coin de la rue. « La Belle Equipe, c’est notre QG. On a l’habitude d’y prendre notre café tous les matins. C’est un endroit sympa pour des gens sympas. C’est pas un lieu de débauche », souffle-t-elle, des sanglots dans la voix, faisant référence à la revendication de Daesh. « Le matin, les commerçants du coin y discutent, le soir les jeunes s’y retrouvent… On va revenir, bien sûr », dit-elle sans hésiter.

A côté, deux impacts de balles sont visibles sur la vitrine de la pâtisserie adjacente. La porte de verre du restaurant japonais attenant est en miettes, témoignant de la violence des événements.

Le métro presque vide, les terrasses clairsemées

Sur le chemin pour se rendre au Bataclan, les terrasses chauffées des bars sont clairsemées, les mines graves, la ligne 9 du métro plutôt vide pour un samedi en fin d’après-midi.

Une affiche, sur laquelle la devise en latin de Paris est écrite : « Qu’il flotte mais ne coule pas ». - Laure Cometti/20 Minutes

Un périmètre de sécurité est maintenu autour du Bataclan, où au moins 80 personnes ont perdu la vie vendredi. Les accès à la salle de concert par le boulevard Voltaire, le boulevard Richard-Lenoir sont bloqués par des barrières devant lesquelles journalistes et badauds s’attroupent.

Hommages boulevard Voltaire, à quelques mètres de la salle de concert du Bataclan, le 14 novembre 2015. - Laure Cometti/20 Minutes

Dans le square, les affiches des candidats aux régionales placardées sur les barrières disparaissent peu à peu derrière les bouquets, les bougies, les dessins et les pancartes. Même atmosphère grave de recueillement.

Un air de cornemuse transperce le silence. Louis-Victor, ému, est venu jouer de cet instrument « solennel », sa manière à lui de « faire quelque chose, plutôt que rester à tourner en rond chez moi ».

« "Amazing Grace" joué à l’instant à la cornemuse. Très émouvant pic.twitter.com/SnDIllRYsq — Judith Chetrit (@judithchetrit) November 14, 2015 »

« Nous n’avons pas peur », lance à la cantonade un homme en traversant la foule de piétons et de caméras. Un peu plus loin, toujours devant le square, quatre étudiants âgés de 19 ans fixent les bouquets, dans le silence. « On est amis, mais on s’est croisés ici par hasard ». Du coup, ils vont passer la soirée ensemble. « Impossible de rester seul, mais on n’a pas le cœur à faire la fête ».

Soudain, un groupe d’hommes parlant anglais s’approche avec détermination des barrières gardées par des policiers. Il s’agit du groupe Eagles of Death Metal, qui était sur la scène du Bataclan lorsque l’attaque a eu lieu. Ils souhaitent récupérer des affaires dans leur car, garé devant l’entrée du Bataclan, explique un agent. « Pas de questions », commente leur garde du corps lorsque nous les sollicitons. La police autorise cinq membres de l’équipe à franchir les barrières, tandis que deux autres membres grillent nerveusement une cigarette en les attendant.

Des centaines de personnes place de la République

A quelques centaines de mètres de là, place de la République, des centaines de personnes étaient rassemblées et des dizaines continuaient d’affluer vers 19 h - presque autant de journalistes que de personnes venues rendre hommage aux victimes des attaques.

Samuel, 39 ans, père de cinq enfants, est venu déposer un bouquet avec sa fille de 8 ans. « On compatit avec les victimes, leurs proches. On se dit que ça aurait pu être nous », souffle-t-il. Il se trouvait d’ailleurs près du Stade de France vendredi soir et n’a pu rentrer qu’à 4 h du matin chez lui, à Arnouville (Val-d’Oise), ce qui a inquiété ses enfants. « C’est sûr qu’on va moins sortir, et rester plus en famille », explique-t-il, évoquant l'« angoisse » qui s'empare de lui dans les « lieux publics ».

Place de la République, le 14 novembre 2015, au lendemain des attentats de Paris. - L. Beaudonnet/20 Minutes

Thierno, 26 ans, originaire d’Amiens, est arrivé vendredi à paris pour passer un week-end avec son meilleur ami. Il se dit « fataliste » : « On ne peut rien faire contre ça, même avec toute la sécurité possible, on ne peut pas. Il y a de la lâcheté dans ces actes, ils attaquent des gens non armés, innocents ». Musulman, le jeune homme redoutait vendredi soir que l’attaque soit revendiquée par des extrémistes islamistes. « Il va encore y avoir des amalgames, des tensions ». Son ami Anthony se souvient de l’élan de solidarité et d’union après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hypercacher : « C’est les seuls moments de solidarité, mais ça disparaît trop vite. »