Enquête sur Dassault à Corbeil-Essonnes: «Le milliardaire se considère comme bienfaiteur»
EDITION•Trois journalistes publient ce jeudi une enquête sur l'industriel soupçonné d'avoir acheté des votes à Corbeil-Essonnes…Des achats supposés de vote, un vendeur d’arme, des fusillades. Depuis le bitume des cités de Corbeil-Essonnes jusqu’à la villa d’un des Français les plus influents au monde, trois journalistes publient ce jeudi chez Robert Laffont* une enquête sur ce que la presse a surnommé le «système Dassault».
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Le milliardaire, sénateur UMP et propriétaire du Figaro, est soupçonné d'avoir acheté des voix auprès des habitants de sa ville pour se faire élire. Un des coauteurs du livre, Yann Philippin, journaliste à Mediapart et anciennement à Libération, revient pour 20 Minutes sur les coulisses de l’enquête journalistique.
Enquêter à Corbeil et sur Serge Dassault, un des Français les plus puissants, a été difficile?
Surtout à cause de la relation malsaine entre Dassault et les jeunes des cités. Il s’est avéré que la distribution d’argent s’est retournée contre lui. Il a excité les convoitises et il se faisait régulièrement racketter. Du coup, quand vous êtes journaliste, vos sources vous lâchent des bribes d’information à publier pour faire pression sur Serge Dassault. D’ailleurs, ils ne s’en cachent pas. Ils vous disent: «Publiez ça, ça m’aidera à demander des sous à Serge Dassault». Evidemment, on a refusé de rentrer dans ce jeu malsain.
Comment expliquer que l’affaire ait mis tant de temps à sortir dans la presse?
La première raison, c’était la difficulté d’obtenir des preuves matérielles de ce système supposé. Il y a eu des retards à l’allumage de la part de l’institution judiciaire. Les policiers et Tracfin [Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins], qui ont fait leur travail, se sont heurtés à la lenteur de la justice qui a tardé à ouvrir une information judiciaire. Les délais ont été anormaux.
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Avez-vous pu rencontrer Serge Dassault pour qu’il se défende?
Il n’a pas souhaité, tout comme les membres de sa famille, répondre à nos questions. Son directeur de communication nous a indiqué par mail qu’il réservait ses réponses aux juges et ne souhaitait pas participer à ce livre, je cite «tendancieux et provocateur».
Il a toujours nié l’achat de voix à Corbeil. Lui-même sait-il que cela est interdit?
Avant tout, la justice ne s’est pas encore prononcée. Il est présumé innocent à ce jour. Pour comprendre la personnalité de Serge Dassault, il faut savoir qu’il a dû attendre que son père meure pour reprendre les rênes de l’empire. Il veut prouver qu’il peut faire mieux que lui. C’est pour cela qu’il s’attaque à Corbeil, bastion communiste qu’il mettra 18 ans à conquérir. Il se considère comme bienfaiteur. Il a un côté paternaliste, à la manière des élus du XIXe siècle, façon notable du coin. Serge Dassault cultive un mélange de générosité sincère et un intérêt certain à conquérir la ville. La justice soupçonne aujourd’hui que ce qui pouvait être au départ un clientélisme ait dérivé vers un système organisé.
Comment expliquer qu’il ait été réélu, même après que l’affaire est sortie dans la presse?
D’abord par le système présumé en lui-même. Beaucoup de gens ont bénéficié des largesses. Puis il y a un bilan Serge Dassault à Corbeil-Essonnes. Il a transformé la ville, rénové des cités sensibles.
Serge Dassault n’a jamais porté plainte pour diffamation, pourquoi?
Car ce serait examiner le fond du dossier. Il risquerait que le procès se transforme en procès sur les achats de voix. A l’inverse, lui ou ses proches ont utilisé d’autres voies pour attaquer les médias: la violation du secret de l’instruction et pour ma part, l’atteinte à la présomption d’innocence. Libération avait titré «Achat de voix: La preuve». Dassault a gagné, la justice ayant considéré que le titre avait violé la présomption d’innocence. Libé a fait appel.
* Dassault système, de Sara Ghibaudo et Yann Philippin avec Virginie Roels (Robert Laffont).