TERRORISMEFilières djihadistes: 10 idées pas (trop) mauvaises du rapport du Sénat

Filières djihadistes: 10 idées pas (trop) mauvaises tirées du rapport du Sénat

TERRORISMEUne commission d’enquête a rendu ce mercredi un rapport de 440 pages et de 110 propositions…
William Molinié

William Molinié

Ce rapport ne fera pas bouger les consciences. Au mieux, il accouchera de quelques amendements issus de parlementaires inspirés. A l’origine, pourtant, ses géniteurs avaient promis des propositions pratiques pour aider les familles et les collectivités locales à affronter le phénomène des filières irako-syriennes.

Le Sénat créé une commission d'enquête sur les réseaux djihadistes

La commission d'enquête du Sénat sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe a présenté ce mercredi matin 110 propositions… qui ont le mérite de poser (une fois de plus) à plat et en détail l’ampleur des conséquences de la radicalisation.

Le rapport de 440 pages (à consulter en pdf par ici…) est sur la table du gouvernement et des parlementaires. Parmi le flot de préconisations, souvent très techniques, 20 Minutes a repéré quelques idées qui sortent du lot. Reste à savoir, si elles sont appliquées, comment les financer et les encadrer…

1. Rendre obligatoire une formation à la prévention de la radicalisation

L’idée est très large. Le rapporteur du texte, Jean-Pierre Sueur (PS) propose de «mettre en place des actions obligatoires de formation à la détection de la radicalisation». Les cibles? Tous les acteurs de terrain (enseignants, protection judiciaire de la jeunesse, aide sociale à l’enfance, éducateurs sportifs, magistrats, assistants sociaux, personnels pénitentiaires, professionnels de la santé mentale…). L’objectif est de repérer au plus vite les individus susceptibles de basculer dans la radicalisation. Mais comment finance-t-on le dispositif, avec quels moyens humains? Le rapport n’apporte aucune réponse.

2. Renforcer les moyens du CNAPR

Le rapport préconise de renforcer le centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation (CNAPR) en lui dotant de moyens. Ce dispositif permet de signaler des individus radicalisés. Le CNAPR devrait, selon les sénateurs, fonctionner 24h/24, lancer une campagne de communication pour se faire connaître et lister les signes de radicalisation.

3. Utiliser les anciens djihadistes

Là encore, l’idée (pas nouvelle) mérite d’être creusée. Le rapport propose d’utiliser d’anciens djihadistes, repentis, pour organiser la contre-propagande. Cette solution a été expérimentée par les pays anglo-saxons. Evidemment, il faut s’assurer pleinement que ces individus sont strictement repentis. Comment? Qui le ferait? Les services de renseignements, les associations, les collectivités territoriales? Pas de réponse…

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4. Tripler les effectifs du renseignement pénitentiaire

Dans sa première partie, le rapport énonce un constat implacable. Il n’y a par exemple à la prison de Fleury-Mérogis (Essonne) – la plus grande d’Europe – qu’un seul fonctionnaire issu du bureau renseignement de l’administration pénitentiaire. Cet agent est assisté d’un gardien qui n’a reçu aucune formation spécifique. Les sénateurs proposent de tripler le nombre de personnels dédiés au renseignement au sein des prisons, pour parvenir à un nombre de 100. Là encore, la question du financement n’est pas prise en compte.

5. Renforcer les prérogatives des services antiterroristes

C’est la partie la plus obscure du rapport. Les sénateurs proposent par exemple de créer «dans le domaine de la lutte contre les filières djihadistes, des "task forces" permettant aux services de sécurité de mettre leurs moyens en commun et de partager leurs informations». Aujourd’hui encore, l’échange d’informations entre les services de renseignement reste un problème majeur. Non pas que les outils ne soient pas en place. Mais les habitudes de travail, parfois les rivalités entre services de police, ont comme conséquence la rétention d’informations. Inciter le renseignement territorial à communiquer avec le renseignement général (et vice-versa), ou encore la DGSI avec la police judiciaire, est une démarche louable. Mais croire que l’instauration de «task force» peut y remédier est assez naïf.

6. Dénoncer des messages illicites en un clic

Les autorités doivent être présentes sur Internet. Le rapporteur du texte propose que «les acteurs d’Internet permettent aux internautes de signaler des messages contraires à la loi en un seul clic». Pourquoi pas, ça permettrait aux internautes effrayés par la plateforme Pharos de dénoncer très rapidement un message illicite. Encore faut-il que les réseaux sociaux tels que Facebook et Twitter acceptent le dispositif. Et surtout, quid des informations collectées et de leur traitement?

7. Lutter contre les «cyberparadis»

Pour contourner la censure des autorités et la fermeture de leurs pages, les sites Internet, blogs ou forums, qui produisent du contenu faisant l’apologie du terrorisme ont tendance à partir s’héberger sur des serveurs à l’étranger, empêchant ainsi toute action des autorités. Le rapport intime la France à «engager des coopérations internationales afin de lutter contre les "cyberparadis".» Il propose de définir les bons et les mauvais élèves avec «liste grise des pays partiellement coopératifs» et «une liste noire des pays non-coopératifs».

8. Doubler les effectifs de Tracfin

Aujourd’hui, 10 à 15 personnes sont en permanence dédiées à la recherche du financement du terrorisme au sein de Tracfin, la cellule de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Les sénateurs proposent de doubler ses effectifs. Une nouvelle fois, l’origine des fonds et son financement n'est pas détaillée.

9. Créer un corps de garde-frontières européens

Sans détour, les sénateurs veulent créer une police européenne chargée du contrôle des frontières. Il s’agit de la proposition numéro 68: «Créer un corps de garde-frontières européens chargé de venir en soutien aux services homologues des Etats membres». L’Union européenne a déjà accouché de Frontex, une agence chargée du contrôle aux frontières, régulièrement critiquée et mise en cause dans des violations supposées des droits de l’homme commises durant ses opérations. Cette proposition semble très difficilement réalisable.

10. Isoler les individus radicalisés

Entre les partisans de l’isolement total et ceux du mélange avec d’autres détenus, la commission d’enquête du Sénat adopte un point de vue intermédiaire. Elle préconise dans les maisons d’arrêt, «d’isoler les individus radicalisés dans un quartier à l’écart de la population carcérale, dans la limite de 10 à 15 personnes, pour permettre une prise en charge individualisée et adéquate». Ni isolement, ni quartiers d’éléments radicalisés, donc. Cela permettrait effectivement de développer un «programme spécifique de prise en charge pour les détenus […] et une prise en charge psychiatrique». Mais cela nécessiterait, de toute évidence, la construction ou tout du moins des travaux d’aménagement dans les prisons.