Le CV anonyme ne masque pas les inégalités sociales
Discrimination•Le procédé est efficace dans la lulte contre les discrimination liées à l'origine mais...20 Minutes avec AFP
Le CV anonyme ne peut pas tout. S'il est une arme efficace contre les discriminations liées à l'origine, il ne suffit pas à effacer toutes les inégalités, conclut une expérimentation au moment où le gouvernement doit décider de généraliser ou non le dispositif.
Des résultats positifs
Depuis le début de l'année, le conseil général de l'Essonne (4.700 agents) teste le CV anonyme pour ses recrutements, en partenariat avec l'Observatoire des discriminations. Celui-ci a comparé les données «anonymées» du premier semestre 2014 avec celles «non anonymées» du premier semestre 2012.
Grâce au dispositif, les candidats portant un prénom discriminant ont 32% de chances supplémentaires d'être convoqués en entretien et 36% d'être embauchés, selon les résultats, dont l'AFP a obtenu une copie. Sont considérés comme «discriminables» les prénoms turcs, maghrébins et d'Afrique subsaharienne.
«On constate que le CV anonyme est bénéfique et positif», commente pour l'AFP le président PS du conseil général Jérôme Guedj, qui a décidé de «généraliser ce type de recrutement» dans sa collectivité.
Les inégalités persistent
Le CV anonyme n'est toutefois pas un remède miracle. Les porteurs de prénoms discriminables restent malgré tout moins bien lotis que les autres candidats: 26% de chances en moins de passer un entretien et 32% d'être recrutés.
Selon l'étude, la persistance de tels écarts s'explique, d'abord, par le fait que les recruteurs de la collectivité privilégient les candidatures internes et les fonctionnaires, deux catégories où les candidats d'origine étrangère sont sous-représentés.
Deuxième raison, «l'effet diplôme». En moyenne, «les porteurs de prénoms discriminables sont nettement moins diplômés», note l'étude. En amont du recrutement, se pose donc la «question des inégalités dans l'accès aux formations», analyse Jean-François Amadieu, président de l'Observatoire des discriminations et fervent défenseur du CV anonyme.
Le sociologue préconise aussi «qu'il y ait, dans le processus de recrutement, des épreuves impersonnelles - tests, mises en situation professionnelle - pour réduire le poids de l'entretien, qui est une étape très subjective».
Un son de cloche différent
Son étude contredit une précédente publication du Centre de recherche en économie et statistique (Crest), parue en 2011 en collaboration avec Pôle emploi. Celle-ci concluait, au contraire, que le CV anonyme «pénalisait» les candidats issus de l'immigration ou résidant dans les zones sensibles. Ceux-ci n'auraient qu'une chance sur 22 de décrocher un entretien avec un CV anonyme, contre une chance sur 10 avec un CV nominatif. Des résultats «inattendus» pour les auteurs du rapport eux-mêmes.
Outre ces deux expérimentations, le CV anonyme a déjà été testé dans de nombreuses entreprises et collectivités, comme Axa, Total, PSA, La Poste ou la région Aquitaine. Cette dernière effectue tous ses recrutements sur la base de CV anonymes depuis 2008.
Une loi votée en 2006 toujours pas appliquée
Le débat a été relancé début juillet par le Conseil d'Etat, qui a sommé le gouvernement de prendre dans les six mois le décret d'application d'une loi de 2006 qui rend obligatoires les CV anonymes dans les entreprises de plus de 50 salariés. Le délai du Conseil d'Etat arrive à échéance le 9 janvier, mais le gouvernement attend, avant d'obtempérer ou non, les recommandations d'un groupe de travail sur les discriminations au travail. Ses conclusions sont attendues en mars.
Mais selon la Maison des potes, l'association antiraciste à l'origine du recours au Conseil d'Etat, le groupe du travail s'apprêterait à «enterrer» le CV anonyme lors d'une séance le 18 décembre. Le sujet sera bien «sur la table», mais le groupe de travail ne tranchera pas forcément ce jour-là, selon son président Jean-Christophe Sciberras.
De son côté, le ministère du Travail assure que cette réunion ne sera pas «conclusive» et se déroulera «sans ministre». «Le groupe de travail est encore dans sa phase de réflexion», selon la même source. Jérôme Guedj, lui, juge «incongru» que les décrets d'une loi votée depuis longtemps ne soient pas encore publiés. «Si on veut crédibiliser une politique publique de lutte contre les discriminations et demander aux entreprises de jouer le jeu, il faut que la puissance publique commence elle-même à donner l'exemple», estime-t-il.