INTERVIEWMaltraitance infantile: «90% des cas ne sont pas signalés»

Maltraitance infantile: «90% des cas ne sont pas signalés»

INTERVIEWC'est ce qu'explique le médecin Cédric Grouchka, l'un des responsables de la Haute autorité de santé (HAS) à «20 Minutes»...
Maud Pierron

Propos recueillis par Maud Pierron

La Haute autorité de santé (HAS) publie ce lundi une recommandation pour sensibiliser les médecins au repérage des cas de maltraitances sur mineur. Qu'elles soient physiques, psychiques ou sexuelles. «Il y a une telle sous-estimation des cas de maltraitance qu'il y a une grande marge de manœuvre. Au final, on pourrait sauver un grand nombre de vies d'enfants», explique à 20 Minutes Cédric Grouchka, un des responsables de la HAS. Le médecin revient en détail sur ce fléau qu'il appelle «le drame de l'ombre».

Quels sont les chiffres de la maltraitance ?

La maltraitance infantile est très fréquente: on pense souvent que c’est un phénomène rare mais c’est un phénomène de masse. Les études internationales montrent que 10% des enfants sont victimes de maltraitance infantile. Et parmi ces 10%, nos travaux montrent que 90% des cas ne sont pas signalés, on passe à côté. C’est le drame de l’ombre. Il y a par exemple 30 cas d’incestes signalés par jour quand on estime la réalité à 300 cas par jour. Il y a dix fois plus de cas de troubles alimentaires chez ces enfants devenus adultes, trois fois plus de toxicomanes, deux fois plus de dépendants à l’alcool, six fois plus qui présentent des pulsions suicidaires et quatre fois plus qui font des dépressions sévères.

Y a-t-il un profil type de familles dans lesquelles se déroulent les maltraitances?

Contrairement aux idées reçues, cela touche toutes les familles, toutes les classes sociales, tous les milieux. C’est important de le rappeler car c’est un cliché qui peut parfois être un frein pour les médecins quand il s’agit de signaler.

Pourquoi les médecins signalent si peu?

Seuls 5% des cas de maltraitances sont signalés par les médecins (1% en ville, 4% à l’hôpital) alors qu’un tiers des signalements vient des services sociaux, 20% environ de l’Education nationale, un peu plus de 15% du voisinage/entourage et le même chiffre de la famille. Les médecins ne sont pas suffisamment armés pour jouer le rôle qu’ils doivent tenir. Il y a plusieurs types de freins: ils n’envisagent pas assez la maltraitance, ils attendent des signes spécifiques comme des bleus, alors que ce n’est pas toujours présent. Il y a aussi le poids émotionnel par rapport à une famille qu’on connaît et dont on peine à imaginer qu’elles font l’impensable car la maltraitance sur enfant est l’impensable. L’autre type de frein, c’est que lorsqu’ils ont des doutes, ils ne savent pas quoi faire, qui alerter. C’est pourquoi nous lançons cette campagne, pour dire aux médecins: «Pensez-y, c’est 10 fois plus fréquent que vous le pensez, cela touche toutes les classes sociales».

Comment doit réagir un médecin dans ces cas-là?

Soit il y a une probabilité forte de maltraitance et son devoir déontologique est d’hospitaliser l’enfant pour l’éloigner de ceux qui peut-être le maltraitent et de le prendre en charge. Si les parents refusent, il faut alerter le procureur de la République. Soit il a des doutes, et dans ce cas, il faut sortir de l’isolement, notamment en se tournant vers la cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP) des conseils généraux, qui elle, fera l’enquête sociale. Il faut vraiment penser que signaler un cas, c’est comme passer la main à un autre confrère quand un patient à une pathologie lourde. Simplement, ce n’est pas à un autre médecin qu’on adresse son patient mais à la justice ou aux services sociaux.

Quels sont les signes qui doivent alerter les médecins ?

Il y a des signes évocateurs comme les hématomes, les morsures, les brûlures, les fractures multiples ou par torsions. Il y a des choses très simples: toute ecchymose sur un enfant qui ne marche pas est évocatrice de maltraitance. Mais il y a aussi des signes de négligence, d’hygiène ou alimentaire, qui doivent être pris en compte. Le comportement doit aussi être regardé: l’enfant est-il agressif? Muet? Ses parents répondent-ils à sa place?

Existe-t-il des risques judiciaires pour un médecin ?

Signaler n’est pas dénoncer, c’est un acte médical. Les médecins ne risquent rient, ils sont couverts au niveau pénal. On m’oppose souvent le secret médical mais le secret médical ne s’applique pas quand il y a des cas de sévices sur mineurs. A contrario, s’il ne signale pas un cas de maltraitance, il peut être poursuivi pour non-assistance à personne en danger.