Le contrôle parental, un jeu d’enfants pas très sain?
TECHNOLOGIE•Des spécialistes donnent leur avis sur les divers outils utilisés par les parents pour surveiller leurs enfants…Nicolas Beunaiche
Big Father is watching you. Depuis quelques années, les outils technologiques permettant aux parents de surveiller l’activité de leurs enfants sur Internet et dans la vie de tous les jours se multiplient.
Dernière invention, née du cerveau d’une mère américaine: Ignore No More, une application qui permet de bloquer le téléphone portable d’un enfant et de conditionner son déblocage à un appel ou à un SMS envoyé à ses parents, qui peuvent alors adresser un mot de passe à leur rejeton. Une idée qui vient s’ajouter aux outils de géolocalisation ou encore de contrôle parental sur le Web. Tour d’horizon de ces technologies, décryptées et soumises à la critique de trois experts.
Ignore No More, l’appli qui bloque les portables
Disponible sur Android (et bientôt sur iTunes) et en langue anglaise, cette application permet aux parents de limiter l’accès de leurs enfants à leur téléphone. Une fois qu’ils l’ont téléchargée, ils indiquent le numéro de leur fils ou de leur fille pour le bloquer, et précisent les numéros que celui-ci ou celle-ci devra composer pour obtenir le mot de passe le débloquant. Sans ce précieux sésame, pas de textos, pas de jeux, pas d’appels à des amis.
L’avis des spécialistes: Les psychiatres Michael Stora et Gilles-Marie Valet y voient l’illustration du paradoxe qui traverse notre société. «Avec cette application, on renforce la tension entre autonomie et surveillance», avance le premier, qui donne en revanche un bon point au forfait bloqué, qui permet de responsabiliser l’enfant. «Plus la technologie favorise l’autonomie des jeunes, et plus on va chercher à la restreindre», renchérit le second, auteur des 50 règles d’or pour se faire obéir sans s’énerver. «On ne s’attaque pas au vrai problème, qui sont les contenus pornographiques et violents sur les téléphones portables», sur lesquels la sécurité est nulle, ajoute-t-il.
La géolocalisation, pour suivre son enfant à la trace
Sous la forme d’un bracelet ou d’une montre, les outils de géolocalisation permettent de suivre son enfant où qu’il aille. Ils sont dotés d’une balise GPS et reliés à Internet par le wi-fi ou la 3G, qui donnent la possibilité aux parents de repérer leur dangereux rejeton sur une carte via une appli mobile.
L’avis des spécialistes: Pour Cédric Fluckiger, chercheur en sciences de l’éducation, cet outil diffère des autres dans le sens où «il sert à contrôler les enfants, et non pas à résoudre un problème induit par les nouvelles technologies». Michael Stora, lui, va plus loin en le qualifiant d’«anxiogène», proche dans son concept du «bracelet électronique». «Il n’aide pas l’enfant à s’autonomiser et peut même renforcer des conduites à risques», enfonce-t-il. Un avis que partage Gilles-Marie Valet, qui y perçoit deux messages pervers envoyés à l’enfant: «Tu n’as pas de lieu pour t’isoler et le monde qui t’entoure est dangereux.»
Les logiciels de contrôle parental sur le Web
Déjà anciens, ils se sont perfectionnés ces dernières années. Ils permettent de bloquer du contenu dangereux ou inapproprié, donnent un aperçu de la vie numérique de l’enfant depuis n’importe quel appareil, et envoient même des alertes en cas d’activité suspecte.
L’avis des spécialistes: Si Cédric Fluckiger explique qu’il y a encore dix ans, le niveau d’équipement des parents français était encore faible, comparé à leurs voisins anglais, il a depuis bien augmenté, en même temps que les logiciels ont changé. Une situation que déplore Gilles-Marie Valet, pour qui les parents doivent respecter l’intimité de leurs enfants et ne pas chercher à connaître leurs secrets. «Ils se trompent de problème, poursuit-il. L’important, c’est d’avoir des outils qui filtrent les contenus a priori, pour éviter tout contact avec des images pornographiques ou violentes.»
Le «stalking» sur Facebook
La statistique date de 2012, mais il est peu probable qu’elle ait évolué à la baisse. Selon une étude publiée par la société AVG, 45 % des Français reconnaissaient avoir accédé au compte Facebook de leur enfant à son insu.
L’avis des spécialistes: «Facebook est important pour les jeunes parce qu’il leur permet de réaffirmer l’existence d’un lien social», avance Cédric Fluckiger. Aussi est-il contre-productif d’en interdire l’usage aux ados. De même, Gilles-Marie Valet encourage-t-il les parents à ne pas créer de faux comptes pour suivre leurs enfants. En revanche, il voit d’un bon œil les «amitiés» entre les parents, identifiés comme tels sur Facebook, et leur progéniture, parce qu’elles «permettent d’échanger sur des sujets qu’ils n’auraient pas abordés autrement». Un lien virtuel qui nourrit le lien social réel, en somme.