INTERVIEWFin de vie: «Il faut définir clairement le souhait du patient»

Fin de vie: «Il faut définir clairement le souhait du patient»

INTERVIEWLe Dr Pascale Gauthier, chef d’une unité de soins palliatifs, livre à «20 Minutes» son analyse de la décision du Conseil d’Etat d’arrêter le traitement de Vincent Lambert…
Anissa Boumediene

Anissa Boumediene

La décision était très attendue. Suivant les réquisitions du rapporteur général, qui préconisait l’arrêt du traitement, le Conseil d’Etat a donné à Vincent Lambert le droit de mourir. Le Dr Pascale Gauthier, chef du service des soins palliatifs au Centre douleurs et soins palliatifs du groupe hospitalier La Pitié Salpêtrière-Charles Foix à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), commente cette décision et analyse pour 20 Minutes le protocole de fin de vie.

Que pensez-vous de la décision du Conseil d’Etat, qui préconise l’arrêt du traitement de Vincen​t Lambert?

C’est la bonne décision, celle que nous, praticiens, attendions. C’est très bien que le Conseil d’Etat se soit appuyé sur la loi Leonetti, qui donne la possibilité aux patients de s’exprimer. S’il avait pris la décision inverse, la pratique de notre métier aurait été impossible.

L’équipe médicale qui prend en charge Vincent Lambert a-t-elle bien suivi le protocole?

A priori, oui. La décision n’a pas été prise à la légère, et elle est intervenue au terme d’une longue réflexion collégiale. A sa prise en charge à l’unité de soins palliatifs du CHU de Reims, Vincent Lambert a été «bien» pendant plusieurs années. Il était soigné, alimenté et nourri par sonde, recevait la visite de ses proches. Puis son comportement a changé, faisant suspecter une envie de mourir, et c’est là le point de départ du protocole de fin de vie que l’équipe a engagé. Il faut une analyse médicale complète, mener un vrai travail d’enquête pour savoir si le patient est en fin de vie et s’il veut éviter tout acharnement thérapeutique à son encontre.

Vincent Lambert semble avoir commencé à manifester un inconfort. A des moments très précis, et de façon répétée, le personnel a notamment remarqué qu’il pleurait au moment des soins et lors des poses de sonde, mais pas lorsqu’il était seul ou entouré de sa famille. De là, l’équipe a fait expertiser l’état du patient, consulté la famille pour recueillir un faisceau d’indices sur les volontés de Vincent Lambert. La loi Leonetti s’applique en cas de maladie grave, chronique et incurable, et Vincent rentre dans son champ d’application.

Aurait-elle pu faire quelque chose de plus?

Elle s’est tenue au protocole en vigueur et l’a suivi rigoureusement. Le souci concernant la concertation de la famille, c’est que les parents n’ont pas été invités à participer. Tout le monde aurait dû pouvoir s’exprimer, même si ce n’est qu’un avis, qui n’engage pas les médecins.

L’équipe médicale aurait peut-être dû transférer Vincent Lambert dans une autre unité de soins palliatifs. Dans notre service à Ivry-sur-Seine, comme dans d’autres ailleurs, nous accueillons des patients en séjour court de quinze jours, et nous avons également une unité mobile. Ces deux dispositifs nous permettent de servir de «deuxième œil». Nous intervenons en tant que tiers, pour livrer une analyse, après avoir fait baisser la charge émotionnelle. Parce que c’est très lourd pour tout le monde, les familles, et aussi les équipes médicales qui suivent un patient pendant plusieurs années. Cela aurait permis une collégialité de la décision encore plus grande.

Qu’est-ce qui faciliterait la marche à suivre avec les patients en fin de vie?

Tout est dans l’information et l’explication. Les patients en fin de vie ont le droit de mourir dans la dignité. Pour cela, il faut faire connaître le principe des directives anticipées. Les patients, tant que leur état le leur permet, doivent exprimer clairement leur souhait en matière de fin de vie. Et c’est là que les équipes soignantes doivent intervenir et faire preuve de pédagogie.

J’ai formé des médecins à l’annonce de diagnostics lourds, et ils n’osent pas parler de ce formulaire aux patients, ils ont «l’impression de leur faire signer leur arrêt de mort». Ce n’est pas du tout ça, d’autant que cette directive est révocable à tout moment. Les personnels n’ont pas les mots notamment parce que la loi Leonetti est méconnue.

Pour le cas de Vincent Lambert, qui n’avait pas donné de directives, il y a d’un côté ses parents, qui ont l’impression qu’on veut tuer leur fils, et son épouse de l’autre, qui veut qu’on laisse partir son mari. La directive évite aux familles de se déchirer mais surtout elle permet de définir clairement le souhait du patient.