«Intermittent, je suis moins qu'un chômeur, pire que les prostituées»
TÉMOIGNAGE•La colère gronde chez les intermittents. Mais à quoi ressemble le quotidien d'un jeune technicien du spectacle?...Christine Laemmel
Adrien, réalisateur et intermittent du spectacle, ne chôme pas. En ce moment, il écrit un long-métrage, bosse sur deux web-séries, prépare un logo pour une entreprise et une vidéo de présentation pour une école de mode. Environ six heures par jour, sept jour sur sept. Le trentenaire multi-cartes est un double diplômé, à la fois graphiste et chef opérateur. Puis monteur, cameraman et «accessoirement réalisateur».
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De quoi remplir «largement» les 507 heures exigées par le Pôle emploi pour recevoir l’allocation réservée aux intermittents du spectacle entre deux contrats. «J’explose ces horaires», ironise même Adrien, plus dépité que fier.
«On ne peut pas payer, mais on te défrayera»
Pourtant, depuis plusieurs années, le technicien ne prend même plus la peine de remplir sa déclaration tous les 10 mois. «Avoir le statut d’intermittent dépend du bon vouloir de l’employeur, avance cet internaute, c’est une course contre la montre impossible.» Par expérience, le patron ne veut quasiment jamais. «Parler d’argent est tabou dans le métier. Ils préféreront toujours dépenser des fortunes en goodies plutôt que rémunérer leurs techniciens.»
Si l’employé réclame, c’est: «On ne peut pas payer parce qu’on loue le matériel, mais on te défrayera», au mieux; «ça te fera un bon CV», ou «c’est à ce prix ou c’est quelqu’un d’autre», dans le pire des cas. Le tout «sur un ton très doucereux» qui mise sur la «passion du métier». Dans une petite mise en scène, passe encore. Être stagiaire assistant de production 12 heures par jour sur une comédie musicale très connue et payé au minimum, non. «Las, je me suis dit que quitte à vivre dans la dèche, autant faire ce pourquoi je suis doué: réalisateur.»
«Je me sens infantilisé à 200 %»
Adrien vit depuis presque deux ans essentiellement grâce au RSA, son «salaire socle». De son travail, il tire 300 à 400 euros maximum. Sa mère lui donne 150 euros. «C’est même elle qui m’a aidé à acheter une caméra, déplore le jeune homme, les banques ne connaissent même pas l’intermittence. Je me sens infantilisé à 200 %.» Même en prenant «tous les contrats qui se proposent», «je ne peux pas sortir par manque d’argent et quand je le fais, je me fais enguirlander parce qu’on a un métier de rêve.»
Combatif mais la voix vacillante, Adrien s’excuse «s’il fout le boxon», mais débite un flot ininterrompu d’exemples du malaise. «Je ne suis qu’un saltimbanque merdique. Moins qu’un chômeur, pire que les prostituées. Pas considéré et en plus pas payé». Adrien a du mal à «faire taire [sa] frustration» mais nous répète qu’il craint de ne plus être embauché «si un employeur le reconnaît. «Et oui, même pour une misère, c’est toujours du boulot.»