Marche pour la vie, Jour de colère, Manif pour tous: la coalition des refus
"Marche pour la vie", "Jour de colère", "Manif pour tous", la ...© 2014 AFP
«Marche pour la vie», «Jour de colère», «Manif pour tous», la France des refus donne de la voix ces dernières semaines, réunissant des foules conséquentes et bigarrées où s'exprime souvent un rejet viscéral des élites ou d'une société dans laquelle elles ne se reconnaissent pas.
Le phénomène traduit «l'impression dominante dans la frange la plus ultra de la droite que la gauche au pouvoir est toujours là pour saper les fondements traditionnels de la société», commente pour l'AFP Jean-Yves Camus, un spécialiste de l'extrême droite.
Il y a également, ajoute-t-il, «cette croyance, assez fermement ancrée au sein de la droite la plus radicale que ce gouvernement (socialiste) n'est pas légitime».
«Lorsque la gauche est au pouvoir en France, sans remonter aux années 30 à l'époque de Léon Blum, mais on a pu le voir aussi en 1981 (arrivée au pouvoir de François Mitterrand), il y a une exaspération d'une partie de l'électorat conservateur», abonde Eddy Fougier, de l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Il soupire, quelque peu désabusé: «On est un pays qui rejoue la Révolution française chaque fois qu'il y a une alternance».
Cette émergence protestataire s'est traduite par plusieurs manifestations récentes.
Il y a eu d'abord la «Marche pour la vie» des opposants à l'avortement, le 19 janvier à Paris, qui a rassemblé des milliers de personnes, en augmentation très sensible sur les années précédentes, puis le «Jour de colère» contre François Hollande, dimanche dernier, également dans la capitale, où les appels à la démission du président ont fusé, mais aussi des propos antisémites.
«On avait là des slogans antisémites comme on n'en avait pas entendu depuis longtemps», relève Jean-Yves Camus.
Catholiques intégristes, opposants au mariage pour les couples homosexuels, partisans de l'humoriste controversé Dieudonné, identitaires, personnes se réclamant des Bonnets rouges contre les taxes ont défilé ce jour-là ensemble. Ils étaient 17.000 personnes selon la police, 120.000 selon les organisateurs.
«Coalition d'intérêts plutôt qu'alliance»
«Ce qui est nouveau, c'est cette coalition d'intérêts, plutôt que d'une alliance, qui est en train de se forger entre des gens qui appartiennent aux groupes de l'ultra-droite et les personnes appartenant à la nébuleuse Alain Soral-Dieudonné», analyse Jean-Yves Camus.
Et il y a enfin ce dimanche la «Manif pour tous» pour s'opposer à la procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples de femmes et à la gestation pour autrui (GPA). Le message est clair: les opposants à la loi Taubira sur le mariage homosexuel et l'adoption par des parents de même sexe ne désarment pas.
Le caractère hétéroclite de ces protestataires peut s'expliquer, avance M. Camus. «Dans certains milieux musulmans fondamentalistes, ou même chez certains musulmans qui ont une conception très identitaire de leur religion, (il peut y avoir) une convergence de vues avec la droite radicale, y compris avec les traditionnalistes catholiques, sur les problèmes de société, sur les rapports hommes-femmes, sur l'appréhension de la laïcité, sur l'opposition à l'homosexualité».
«Ils s'entendent sur un rejet commun de l'évolution de la société, du pouvoir des élites en général», confirme Eddy Fougier.
Pour lui, «il y a une montée très nette du conservatisme dans le pays». Il rappelle un récent sondage OpinionWay pour le Cevipof (Sciences Po Paris) mettant en évidence un désenchantement prononcé envers les partis politiques et leurs responsables.
«Les partis politiques semblent totalement dépassés par les événements, FN compris», souligne le chercheur. «Ils vont essayer de les récupérer (...) mais je ne suis pas sûr que cela soit aussi simple. Les groupes à l'origine de ces mouvements sont très remontés» contre l'ensemble des institutions politiques, voire pour certains contre le fonctionnement de la démocratie.
«L'impression que l'on subit un tsunami de changement»
Les réseaux sociaux et internet, fait-il valoir, servent également de «chambre d'écho» à tous ces mouvements qui, il y a encore peu, «imprimaient des tracts de façon clandestine». Aujourd'hui, il suffit de Facebook ou d'un site internet pour «attirer très vite» des milliers de personnes.
La société est en pleine angoisse face aux mutations actuelles, insiste le sociologue Jean Viard. «On a l'impression que l'on subit un tsunami de changement, qu'on ne gouverne pas. On n'a pas le sentiment que la droite et la gauche portent la France dans la mondialisation de façon conquérante».
Et puis il y a, selon lui, le «désarroi total» de ceux qui, dans la société, sont «complètement rejetés alors qu'ils ont fait un énorme effort pour y trouver leur place», les conduisant à se retrouver «à un moment dans des niches en bordure du fascisme». Tout cela, dit-il, a pour effet de «recentrer le FN. Parce que, du coup, le FN paraît moins extrémiste. L'extrémisme, ce n'est plus le FN».
Cette effervescence va-t-elle déboucher sur des convulsions majeures? Jean-Yves Camus admet que la «virulence des slogans» entendus le 24 janvier peut rappeler les années 30, mais il ajoute aussitôt qu'il y avait près d'un million de personnes contre la République lors des émeutes de février 1934.
«L'Histoire ne repasse pas les plats, poursuit le chercheur. On n'est pas dans une configuration où la démocratie serait susceptible d'être renversée. Mais il y a quelque chose de nouveau et d'inquiétant, dans le vocabulaire utilisé, avec cette coalition étrange...»