«La plupart des consommateurs ont du mal à jeter»

«La plupart des consommateurs ont du mal à jeter»

INTERVIEW – Michelle Dobré, professeure de sociologie, fait le point sur les liens entre les Français et leurs objets...
Un employé de l'association "La cité de l'emploi " répare un meuble destiné à la commercialisation à la ressourcerie.
Un employé de l'association "La cité de l'emploi " répare un meuble destiné à la commercialisation à la ressourcerie. - AFP PHOTO / PHILIPPE HUGUEN
Propos recueillis par Céline Boff

Propos recueillis par Céline Boff

Quels rapports les Français entretiennent-ils avec leurs objets? C’est à cette question que Michelle Dobré, professeure de sociologie à l’Université de Caen (Calvados), a tenté de répondre en participant à un programme de recherche baptisé Teresa et financé par l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Rencontre.

Les professionnels de l’ameublement viennent d’annoncer des ventes en recul, pour la deuxième année consécutive. Ces résultats vous surprennent-ils?

Pas vraiment. Le meuble est un objet qui se transmet, se récupère, s’échange ou se donne facilement. Le succès du site Le Bon Coin, qui s’impose comme le deuxième portail le plus visité en France, prouve cette appétence des consommateurs pour la récupération.

Les meubles d’occasion ont-ils du succès parce qu’ils sont moins chers?

En matière de consommation, le raisonnement n’est jamais exclusivement économique. L’acte d’achat est aussi anthropologique, social, culturel… Toutes ces dimensions jouent.

Ensuite, le réflexe est de penser que dans une société de consommation comme la nôtre, les gens n’ont de cesse d’acheter et de jeter. En réalité, nous avons constaté à travers notre programme de recherche que jeter est un acte très difficile. Les consommateurs font tout pour donner, non pas une seule deuxième vie, mais une multitude de vies aux objets, et c’est particulièrement vrai pour l’électroménager et pour le mobilier.

La récupération est donc une tendance forte dans notre société?

Notre étude nous a permis de distinguer quatre profils types. Primo, le minimaliste. Il s’entoure de très peu d’objets, en achète le moins possible et cherche toujours à donner une nouvelle vie à ceux qu’il n’utilise plus. Le second profil est le stockeur. Lui ne jette rien. Il achète toutefois très peu de neuf, mais beaucoup d’occasion. Bricoleur et/ou créatif, il aime transformer ces objets.

Il y a ensuite l’opulent, qui veut démontrer, à travers ses objets, son statut social et sa réussite. Celui-ci achète volontiers du neuf, de très bonne qualité, et se débarrasse facilement de ses objets, parfois auprès d’associations. Le dernier profil est le précaire. Il réunit les gens pauvres mais aussi tous ceux qui sont dans une situation de transition: les séparés, les divorcés, les nomades, les étudiants, etc. Ce sont chez eux que l’on trouve le plus d’objets en fin de vie, dont se sont débarrassés les trois autres profils.

La crise des ventes dans le meuble n’épargne pas les mastodontes. Faut-il y voir un ras-le-bol des consommateurs face aux meubles standardisés?

La conclusion ne peut pas être aussi catégorique. Les tendances sont diverses et de fait délicates à ausculter. Ce que l’on sent monter en revanche, c’est l’envie de reprendre le contrôle de son style de vie. C’est une volonté durable, parce qu’elle se retrouve et se diffuse dans toutes les classes sociales.

Or, les domaines où l’on peut exercer son autonomie s’amenuisent, que ce soit dans sa vie quotidienne ou au travail. Nous évoluons dans une société très normée et qui produit en permanence des règles nouvelles. Dans ce contexte, acheter des objets d’occasion pour les transformer est un moyen de reprendre la main, de maîtriser son environnement.

Les fabricants et distributeurs de meubles doivent-ils s’inquiéter?

Ceux qui proposent des produits de consommation ont toujours à s’inquiéter! La société est en évolution permanente, ce qui implique de réviser régulièrement sa stratégie.