«Quenelle» de Dieudonné: la polémique en route vers les tribunaux
•Salut antisémite d'après certains, simple bras d'honneur antisystème ...© 2013 AFP
Salut antisémite d'après certains, simple bras d'honneur antisystème pour d'autres...La polémique sur la «quenelle» de Dieudonné prend un tour judiciaire: l'humoriste a déjà lancé l'offensive devant les tribunaux, tandis que ses adversaires menacent de faire de même.
Ce geste de ralliement de la «Dieudosphère», bras et main tendus vers le sol, l'autre bras replié touchant l'épaule, fait l'objet d'un concours spontané parmi les soutiens de Dieudonné.
Le but, «placer une quenelle», c'est-à-dire se faire prendre en photo en faisant le geste, un peu n'importe où: au parc Astérix, lors d'émissions de télévision, de rencontres de football, dans un lycée de Nancy... et le diffuser sur internet ou le «glisser» dans des médias.
Dans une vidéo publiée le 20 août intitulée «Dieudonné et la quenelle de la révolution», l'humoriste explique, légèrement ironique, que derrière ce geste qu'il qualifie «d'un peu anodin et potache se cache un acte subversif (...), déclic qui sera à l'origine de l'émancipation des masses laborieuses».
«Ca ne m'appartient plus, cette formule magique appartient à la révolution qui arrive», se dédouane-t-il.
Car certains de ses sympathisants exécutent le geste près de symboles liés à la communauté juive, devant des synagogues et jusqu'au camp d'Auschwitz. Alain Soral, essayiste proche de l'extrême droite, s'est fait photographier au milieu du mémorial de la Shoah à Berlin.
Expéditions punitives
Rien d'étonnant: depuis dix ans, l'humoriste et l'essayiste s'aventurent sur le terrain politique pour dénoncer la toute-puissance supposée du «sionisme»: ils ont ainsi été les chefs de file d'une «liste antisioniste» aux européennes de 2009.
Mais les «quenelles» prêtent alors le flanc aux accusations d'antisémitisme.
C'est l'avis du numéro un du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), Roger Cukierman. «On est très préoccupés par l'impact de ce geste qu'on considère comme un salut nazi», dit-il à l'AFP.
«On entend souvent dire que c'est un geste antisystème, alors que c'est un salut hitlérien inversé, ce n'est pas une surinterprétation» de dire que c'est «antisémite», affirme Sabrina Goldman, avocate de la Licra.
De là à aller en justice, il n'y a donc qu'un pas selon elle: «Juridiquement, on peut analyser ça comme une injure à caractère racial»... Même si l'avocate se demande «si un seul geste non accompagné de parole peut être poursuivi».
Le terrain judiciaire semble instable en effet, comme le dit M. Cukierman : «On ne veut pas aller au procès contre des gens si l'on risque de perdre».
D'autres préfèrent se faire justice eux-mêmes: six jeunes de 18 à 22 ans ont mené des expéditions punitives dans la région lyonnaise contre des auteurs de «quenelles». Ils ont été mis en examen.
D'ores et déjà, plusieurs administrations se sont saisies du geste. Une enquête administrative est en cours contre trois pompiers qui ont fait une quenelle en Meurthe-et-Moselle, tandis que deux militaires faisant ce même geste devant une synagogue à Paris ont été sanctionnés par un rappel au règlement.
«Business»
Et c'est surtout du côté de Dieudonné qu'une offensive judiciaire est lancée. «La seule voie dont dispose notre client face à cet emballement médiatique, c'est la voie judiciaire. La quenelle, c'est un bras d'honneur détendu. La seule signification par rapport aux spectacles de l'artiste Dieudonné, c'est celle-ci», explique Me David de Stefano, l'un de ses avocats. L'humoriste n'a pas voulu répondre à l'AFP.
Une plainte avec constitution de partie civile a été déposée visant le président de la Licra Alain Jakubowicz, précise Me de Stefano. Et une citation directe devant la 17e chambre correctionnelle le vise aussi.
Il lui est reproché une lettre en date du 9 septembre adressée au ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian dans laquelle il qualifie cette «quenelle» de «salut nazi inversé».
L'avocat de Dieudonné menace aussi de plainte Roger Cukierman pour des propos similaires, et de manière plus générale, les personnes en «responsabilités» affirmant que le geste est ambigu.
Pour Jean-Yves Camus, chercheur spécialiste de l'extrême droite interrogé par l'AFP, «on peut gloser sur le geste sans arrêt, dire que c'est un salut nazi inversé, un bras d'honneur adressé au système... C'est tout ça à la fois».
L'important est de voir «dans quel contexte» les gens se font photographier en faisant cette «quenelle». Lorsque c'est devant des lieux liés à la communauté juive, «cette simple expression est antisémite, ce n'est pas une expression antisioniste», d'après lui.
Mais par-delà les interrogations idéologiques, M. Camus voit dans le succès médiatique de cette «quenelle» un succès de «marketing d'auteur, de comédien» pour Dieudonné et «d'écrivain-essayiste» pour Alain Soral.
Sur leurs sites, livres, DVD, vêtements sont à vendre. La maison d'édition d'Alain Soral dégage un chiffre d'affaires de 640.400 euros pour un bénéfice net de 64.300 euros, selon le registre du commerce.
Leur «business», comme l'appelle M. Camus, est possible selon lui parce que «Dieudonné surfe sur une ambiguïté énorme: pour beaucoup de ses fans, peut-être même pour la majorité, l'aspect anti-système dépasse l'aspect antisémite».
Preuve de l'importance prise par le sujet, la «quenelle» a surgi dans la sphère politique : après Manuel Valls en novembre, c'est François Hollande qui le 16 décembre qui s'en est pris à «ceux qui se prétendent humoristes et qui ne sont que des antisémites patentés que nous devons également combattre».