Bretagne: La mobilisation des bonnets rouges en trois questions
SOCIAL•Après la manifestation qui a réuni entre 15.000 et 30.000 personnes samedi à Quimper...Maud Pierron
A partir de mardi, le préfet de la Bretagne commence ses consultations avec les différents protagonistes de la fronde contre l’écotaxe. 20 Minutes fait le point.
Comment peut évoluer ce mouvement des bonnets rouges?
A l’origine, le secteur des transports et de l’agroalimentaire et même de la grande distribution s’était surtout mobilisé contre l’écotaxe. Puis, il a fait tâche d’huile. «Pour toute la région, la succession de plans sociaux rapides et massifs a été un choc, cela a créé un fort sentiment de solidarité», explique Jean-Michel Favennec, président de la Coordination rurale de Bretagne. La manifestation de samedi, par exemple, a été organisée par le collectif «Vivre, décider, travailler en Bretagne», qui réunit le Medef, le NPA, la FNSEA et le Parti breton. Dans les cortèges, il y avait des agriculteurs, des pêcheurs, des commerçants… mais aussi des Bretons solidaires des revendications. Et au niveau politique, c’est l’union régionale. De gauche à droite, tous soutiennent les bonnets rouges.
Toutefois, le mouvement a déjà commencé à se diviser. Samedi, la CGT, Solidaires et FSU, ainsi que EELV et le Front de gauche, ont appelé à leur propre manifestation, à Carhaix, dans le Finistère, car le rassemblement de Quimper était soutenu par plusieurs organisations patronales.
Comment peuvent se dérouler les négociations?
Difficile à dire, car cela dépendra aussi de l’attitude des représentants de l’Etat. Mais d’après Guy Groux, spécialiste des mouvements sociaux, «un front disparate, avec des revendications diverses, c’est un signe d’immense difficulté pour le pouvoir», qui aura du mal à contenter tout le monde. Il peut toutefois tenter de diviser un front uni dans la fronde, mais pas dans les solutions à apporter à la crise. Dans tous les cas, c’est à l’échelle régionale qu’ont lieu désormais les discussions. Le préfet recevra les protestataires par petits groupes: le collectif Vivre, décider et travailler en Bretagne d’un côté, les parlementaires et les partenaires sociaux de l’autre. Six rencontres thématiques selon les secteurs sont également prévues. Bref, le tout sera compartimenté. «Il y a un vrai risque que le mouvement fasse pschiit. Il y a ce bon vieux principe de l’Etat de diviser pour mieux régner. Il y a tant de revendications diverses», prévient Romain Pasquier, directeur de recherche du CNRS et professeur à Sciences-Po Rennes.
Le mouvement peut-il s’étendre et se radicaliser?
Samedi à Quimper, quelques faits de violences ont émaillé la manifestation. D’après le préfet du Finistère, Jean-Luc Videlaine, ils étaient le fait d’un «groupe marginal», le préfet évoquant notamment des «ultras» d’extrême droite. Mais les cinq personnes arrêtées pour violence à Quimper n’ont pas de sympathies politiques extrémistes, selon des sources policières. Et ce sont bien des bonnets rouges qui ont détruit samedi le portique écotaxe de Saint-Allouestre (Morbihan). Attention, avertit Romain Pasquier, «certains pensent que si l’on ne casse pas, on ne crée pas de rapport de force. C’est assez dangereux mais hélas l’histoire montre qu’ils ont raison».
Dans l’hypothèse où l’écotaxe serait maintenue, mais où la Bretagne serait la seule région à bénéficier d’aménagements, la rébellion pourrait alors gagner d’autres territoires. Dans le Nord, un portique écotaxe a été incendié dans la nuit de samedi à dimanche. En Rhônes-Alpes, grand nœud routier européen, une douzaine de camions ont mené samedi matin une nouvelle opération escargot. «Si la mobilisation est si populaire en Bretagne, c’est qu’il y a derrière une très forte identité régionale. C’est un mouvement spécifiquement breton, qui a des revendications très diverses», explique Guy Groux. Pour Jean-Michel Favennec, le mouvement puise ses origines dans les «particularismes bretons»: une région excentrée, et dont deux des piliers de l’économie -agroalimentaire et agriculture, tournés vers l’exportation- vacillent à coup de plans sociaux. «On est touché de plein fouet par la mondialisation. C’est la défense d’une identité qui réunit dans la rue des gens habituellement opposés», note-t-il. Mais il est «trop tôt» pour dire si le mouvement, celui contre l’écotaxe, peut s’étendre, ajoute-t-il. En revanche, il peut très bien y avoir «une agrégation des luttes», en Bretagne et ailleurs, notamment avec les lycéens, sur des revendications diverses, mais qui ont pour «lot commun une opposition à la politique gouvernementale».