Les annexes de tribunaux sur le tarmac de Roissy font polémique

Les annexes de tribunaux sur le tarmac de Roissy font polémique

JUSTICE – L’ouverture en septembre et en décembre de deux annexes des tribunaux de grande instance de Meaux et Bobigny sur le tarmac de l’aéroport de Roissy soulève indignation et questionnement…
Oihana Gabriel

Oihana Gabriel

«Non à la justice derrière les barbelés!» clament des avocats en robe, coincés derrière un grillage. Mardi matin, des associations, quelques élus, des magistrats et des avocats ont inspecté et dénoncé les salles d’audience délocalisées, les unes près de Roissy, les autres au bout des pistes. Dans quelques semaines, deux annexes des tribunaux de Meaux au Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) et de Bobigny sur le tarmac accueilleront les procès d’étrangers menacés d’expulsion. Les juges, les greffiers, les avocats se déplaceront et non plus les policiers. Objectif? Une baisse des coûts de transfèrement entre aéroport et tribunaux et des conditions de comparution améliorées.

«Les conditions, il suffirait de les améliorer, réplique Françoise Marthe, président du Syndicat de la magistrature. On va créer une justice d’exception qui jugera les étrangers à la chaîne au bout d’une piste.» Et donc à l’abri des regards. Ce qui heurte ces professionnels du droit ainsi que les associations car le droit français doit être rendu publiquement.

«Les reconduire le plus vite possible»

Les deux sites ajoutent à la confusion entre police et justice: les étrangers qui sortent tout juste de l’avion n’auront qu’une porte à pousser pour passer de la zone d’attente pour personne en instance (Zapi) à la salle du tribunal. Quant à l’annexe du TGI de Meaux, elle se trouve accolée au centre de rétention. «L’objectif, c’est de les reconduire le plus vite possible hors de France, s’exclame Ariana Bobétic, avocate à Bobigny. C’est comme si vous jugiez un braqueur de bijoux dans la bijouterie!»

Mais pour le président du TGI de Bobigny, Rémy Heitz, «le décor n’est absolument pas policier» et «il n’y a pas de limite d’accès pour le public». La garde des Sceaux, sollicitée, se justifie en avançant l’argument pécuniaire: ces installations ont déjà coûté 2,7 millions d’euros à l’Etat, qui rechigne à revenir en arrière.

Une justice d’exception

«Ici, la justice se fera en catimini, pour des citoyens de seconde zone. Ce n’est pas l’idée que l’on se fait de la justice en France. Elle doit être publique, mais ici, qui viendra?» interroge Alain, un militant du Réseau éducation sans frontières (RESF) qui a fait le déplacement. «A Meaux, on a très peu de public lors des audiences», se défend Michel Revel, vice-président du tribunal de la ville. Il n’y a pas davantage de pression [sur les juges] à Meaux qu’ici.»

Un isolement problématique pour les familles

Plus grave, les familles et proches des sans-papiers jugés pourraient être découragés par les 45 minutes de RER, le bus qui ne passe qu’une fois par heure et les 25 euros de frais, pour apporter un document important dans une annexe non seulement isolée mais pas indiquée… Et si certains ne disposent pas de papiers en règle, les dizaines de cars de CRS peuvent les effrayer. Et les avocats très remontés de pointer les questions restées en suspens: que faire des mineurs libérés, lâchés dans la nature devant Roissy alors les juges pour enfants resteront à Bobigny et Meaux? Ces questions pourraient être tranchées lors d’une réunion le 27 septembre entre associations et président de la cour d’appel de Paris.

L’initiative a été prise par le gouvernement précédent, mais Manuel Valls et Christiane Taubira n’ont pas bloqué sa réalisation. En revanche, des mobilisations contre cette justice délocalisée ont déjà porté leurs fruits: en 2006, le Barreau de Marseille avait obtenu la fermeture d’une salle d’audience à l’intérieur du centre de rétention du Canet.