Le Mediator, «un crime presque parfait», pour la pneumologue Irène Frachon

Le Mediator, «un crime presque parfait», pour la pneumologue Irène Frachon

"Un crime presque parfait" : la pneumologue Irène Frachon, qui ...
© 2013 AFP

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«Un crime presque parfait» : la pneumologue Irène Frachon, qui a mis au jour le scandale du Mediator, n'a pas mâché ses mots jeudi devant les juges de Nanterre pour expliquer comment ce médicament, accusé d'avoir causé des centaines de morts, a pu être commercialisé pendant près de 35 ans.

Le dossier du Mediator, c'est «un crime presque parfait. Honnêtement, c'était bien fait et cela a marché pendant des années», a assuré, droite à la barre, cette femme de 50 ans à l'élégance classique.

Le principal prévenu, Jacques Servier, 91 ans, est de nouveau absent de l'audience pour raisons de santé. Il est jugé avec quatre autres prévenus de chez Servier et Biopharma, l'une des filiales des laboratoires, pour «tromperie aggravée».

«C'est la première fois depuis le début de cette affaire que je suis entendue sur le fond. C'est un moment historique pour toutes les victimes», confiait la pneumologue à l'AFP juste avant d'être entendue par le tribunal.

Le Mediator, pour Irène Frachon, est un combat de longue haleine. «J'ai passé des heures devant les documents des laboratoires Servier et devant ceux de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé», explique-t-elle aux juges.

Tout commence en 2007 lorsque cette spécialiste des hypertensions artérielles pulmonaires voit arriver dans son bureau à Brest une patiente obèse atteinte de cette pathologie rare et actuellement incurable. «J'ai appris que cette malade avait été exposée au Mediator», raconte Mme Frachon et cela «m'a mis la puce à l'oreille». Plus tard, des collègues l'avertiront de cas de valvulopathies (défaillances des valves cardiaques) sur des personnes qui ont pris ce même médicament.

«Manquements»

Après un exposé minutieux de ses recherches, le docteur parle de l'attitude des laboratoires Servier, qui ont commercialisé le Mediator, un antidiabétique largement détourné comme coupe-faim. «Il y a eu à l'évidence de grands manquements, une tromperie parfaitement organisée» de la part du groupe, estime-t-elle.

Le Mediator pourrait causer de 1.300 à 1.800 morts en France par valvulopathie, selon des experts.

Sollicitée par un conseil des parties civiles, Mme Frachon a aussi évoqué l'ironie actuelle de la situation, déplorant que des victimes présumées du Mediator soient aujourd'hui soignées par des médicaments commercialisés par le même groupe pharmaceutique.

«Je constate que fréquemment des malades, souffrant de pathologies cardiaques liées à la prise de Mediator, sont soignés avec des médicaments des laboratoires Servier comme le Coversyl. On marche vraiment sur la tête», a insisté Mme Frachon auprès de l'AFP, après s'être exprimée à la barre.

Dans la matinée, le tribunal a entendu trois experts de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), à l'origine, en janvier 2011, d'un rapport accablant pour Servier.

Aquilino Morelle, l'un des auteurs du rapport et actuellement proche conseiller de François Hollande, a notamment été interrogé sur la chaîne d'événements ayant conduit à la commercialisation du médicament de 1976 a 2009. Pour lui, il y a eu «de la bêtise, de la paresse, de l'ignorance, de la veulerie et certainement bien autre chose».

«Dès l'origine (la fin des années 60) Servier sait que le Benfluorex (le Mediator) a une parenté importante avec la norfenfluramine», molécule très proche de l'amphétamine et déjà réputée très dangereuse, assure-t-il. Mais à partir du moment où le Mediator est mis sur le marché, le groupe va constamment minimiser «le degré de parenté du médicament avec cette molécule», ajoute-t-il.

Les conseils de M. Servier ont à nouveau insisté pour que le tribunal demande un complément d'information, notamment sur le rôle des autorités sanitaires dans ce dossier. L'agence du médicament (ANSM) a en effet également été mise en examen en mars, soupçonnée d'avoir négligé les alertes sur la dangerosité du médicament de 1995 à 2009.

«Ce procès ressemble à une embuscade tendue aux uns et aux autres», a affirmé Me Hervé Temime, qui n'a de cesse de demander le renvoi du procès de Nanterre tant que l'instruction menée en parallèle à Paris n'est pas bouclée.

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