Le tourisme de mémoire ne flanche pas
GUERRES•La filière représente un enjeu économique de plus en plus important, mais aussi civique...Alexandre Sulzer
Pour le pont du 8 mai, anniversaire de la fin de la Seconde guerre mondiale, certains curieux visiteront peut-être le mémorial de Caen, comme 400.000 personnes l’ont fait en 2012. Ou le camp des Milles, dans les Bouches-du-Rhône qui a ouvert ses portes au public l’année dernière. Selon le ministère de la Défense, le tourisme de mémoire est en pleine expansion avec 750.000 visiteurs supplémentaires en 2012 sur les seuls seize sites mémoriels les plus fréquentés. Une filière économique et un enjeu politique alors que 2014 marquera à la fois le centenaire de la Grande Guerre et le 70e anniversaire de la Libération. Et que les acteurs des conflits contemporains disparaissent progressivement, laissant la place aux seuls lieux. Signe des temps, un pavillon consacré au tourisme de mémoire a été ouvert pour la première fois par le ministère de la Défense, lors du dernier Salon du tourisme de Paris.
De vieux évènements, des sites récents
Le tourisme mémoriel n’est pas nouveau. «Sa genèse remonte à la fin de la Première guerre mondiale lorsque les familles arpentaient les champs de bataille. Il s’agissait alors d’un tourisme de pèlerinage», raconte Renaud Ferrand, sous-directeur de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives du ministère de la Défense. Sous De Gaulle, l’Etat crée les «hauts lieux de la mémoire nationale» (il en existe sept aujourd’hui). Puis, dans les années 80-90, «les collectivités s’approprient la mémoire» avec un fleurissement de musées et autres mémoriaux départementaux et associatifs. 79% des sites mémoriels marchands ont été ouverts au public depuis 1980.
Difficile pour autant de connaître le poids économique de la filière, explosée en de multiples acteurs. La seule étude complète, effectuée en 2010, porte sur les sites payants qui ne représentent que 20% du total des sites. En 2012, 6,2 millions de visiteurs s’y sont rendus, soit un chiffre d’affaires direct de 45 millions d’euros. Mais la part des Français est assez réduite (tout juste 55%) et celle des scolaires non-négligeable (24%). «C’est un public d’amateurs avant tout, surtout sur les sites de la Première guerre mondiale», regrette Renaud Ferrand qui évoque «enjeu civique et citoyen».
Une façon citoyenne de faire du tourisme
Car «on ne va pas à la maison d’Izieu comme on va à Disneyland». Le ministère de la Défense travaille sur un cahier des charges commun à une centaine de sites qui harmoniserait la qualité d’accueil, aujourd’hui très variable, et la pédagogie des visites. «On essaye de donner une vision citoyenne à la façon de consommer le tourisme, il faut contextualiser et contribuer à la réflexion des générations futures», détaille Renaud Ferrand. Un projet d’application pour Smartphone devrait prochainement permettre de localiser l’ossuaire le plus proche de chez soi!
A l’approche du centenaire de 14-18, de nombreux sites nourrissent d’ambitieux projets de «revalorisation» ou de création de «centres d’interprétation», comme Notre-Dame-de-Lorette (Pas-de-Calais), Verdun (Meuse) ou encore le Hartmannswillerkopf (Haut-Rhin). Pour l’heure, les anglo-saxons semblent vouloir être présents au rendez-vous. Le ministère de la Défense dit attendre pas moins d’un million d’Anglais en 2016 sur les sites des batailles (dont au moins une classe par école britannique). Selon Guy Valembois, président de l’association du tourisme de mémoire de la Grande Guerre, pas moins de 25.000 lits auraient été déjà réservés par des Canadiens dans le Pas-de-Calais pour les commémorations.