Un an après l'affaire Merah, le renseignement français est en crise
SECURITE – Pointées du doigt, les méthodes de travail de la DCRI n'ont pas évolué…William Molinié
Interpellations prématurées dans l’affaire de Tarnac, trop tardives pour le dossier Merah. Un an après le premier des sept meurtres du tueur toulousain, les services de renseignement sont «hantés par l’idée de louper quelque chose», à en croire le député PS Jean-Jacques Urvoas, chargé par Manuel Valls de conduire une mission d’évaluation du renseignement.
La direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), mise en cause dans l’affaire, n’a pas relevé la tête. Manque de communication, suspicions entre agents, rétention d’informations avec les services territoriaux… Les écueils de l’affaire Merah, mis en lumière par un rapport de l’inspection générale de la police nationale (IGPN) en octobre 2012, n’ont pas véritablement eu d’effets concrets au sein de la «Centrale», si ce n’est le limogeage de son patron, Bernard Squarcini. «En interne, ça ne fonctionne toujours pas. Ils ne discutent pas entre eux. Tout le monde a peur de tout le monde», s’inquiète Yanick Danio, délégué national du syndicat Unité Police (SGP-FO) et ancien officier des renseignements généraux.
Ces tensions, exacerbées avec l'affaire Merah, s'étaient cristallisées lors de la création de la DCRI en 2008 par décret, née de la fusion de la direction de la surveillance du territoire (DST) et de la direction centrale des renseignements généraux (DCRG). «La culture de la DST a pris le pas sur les RG. Les services sont encore beaucoup trop cloisonnés, trop hiérarchisés», alarme Yannick Danio. «Toutes les polices du monde sont confrontées à ces problèmes structurels d’échanges d’informations», relativise Fabien Jobard, chercheur au CNRS et directeur du Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (Cesdip).
Réforme du renseignement à venir
La crise du renseignement touche aussi les effectifs de l’ancienne DCRG qui ont rejoint en 2008 la sous-direction de l’information générale (SDIG), rattachée à la direction centrale de la sécurité publique (DCSP). Selon les observateurs, ils se sont sentis écartés de la fonction «noble» du renseignement, avec le sentiment d’être voués à disparaître. Frédéric Ocqueteau, chercheur du Cesdip, relève toutefois un point positif. «Ils ont finalement réussi à vendre un savoir-faire devenu nécessaire auprès des directeurs départementaux et des préfets». Aujourd’hui, leurs inquiétudes sont, selon lui, liées à un «déficit d’image et de reconnaissance».
Redonner de la grandeur aux services de renseignement. C’est en substance le message que veut laisser Eric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), en minimisant l'échec de la DCRI dans l'affaire Merah. «Au milieu de 50 dossiers, n’est-il pas anormal que le moins intéressant, celui de Merah, passe en dernier? Quand bien même, les erreurs successives de la DCRI auraient été évitées, Merah serait, je crois, quand même passé entre les mailles du filet», estime-t-il.
La réforme du renseignement ne devrait pas tarder à se lancer. Le travail de la mission d’évaluation du renseignement doit être remise au ministre de l’Intérieur à la fin du mois. Auteur d’un essai en avril 2011 sur la question, Jean-Jacques Urvoas, qui aborde l’affaire Merah comme «un cas d’école», plaide pour que les missions du renseignement soient inscrites dans la loi. «L’angoisse de se louper rend les services fragiles. Ils ont besoin d’une protection législative. Le temps est venu de dire que le renseignement est un outil efficace et utile», insiste-t-il. Selon lui, il faut doter la DCRI de «capteurs locaux» disposant d’une «capacité d’autonomie reconnue» et d’outils législatifs pour renforcer, entre autres, la «surveillance sur Internet» et permettre notamment «l’intrusion» dans les ordinateurs des apprentis terroristes.