Médicament: Le cytotec va-t-il créer un nouveau scandale?
SANTE•Après l’interdiction de Diane 35, un anti-ulcéreux utilisé pour déclencher les accouchements pourrait bien se retrouver dans l’œil du cyclone…Oihana Gabriel
«On s’en est sorti de justesse », souffle Aurélie Joux. Cette femme de 31 ans alerte les futures mères des dangers du cytotec depuis qu’elle en a été victime. Ce médicament normalement prescrit pour les ulcères et maladies de l’estomac est aussi utilisé par certaines maternités pour déclencher les accouchements. Non sans risque. En novembre 2010, Aurélie a vécu un troisième accouchement traumatisant à l’hôpital de Poissy (Yvelines). Après avoir reçu par voie vaginale du cytotec, ses contractions se sont accélérées et amplifiées. « C’était comme une sur-contraction. On voyait que le cœur du bébé ralentissait. J’ai demandé pendant des heures qu’on me fasse une césarienne. » En vain. Finalement l’enfant est sorti grâce à des ventouses. « Il ne respirait pas. La première image que j’ai eue de mon bébé a été celle de la mort. »
Réanimé, Timéo souffre aujourd’hui d’un handicap moteur. Et Aurélie, à la suite des contractions trop fortes, a vu son utérus se déchirer. « Malgré toutes mes questions, tout le service est resté silencieux. Je voulais voir mon dossier médical mais on m’a dit que je n’avais pas eu de chance et qu’il n’y avait pas eu de faute professionnelle. » Le lendemain de son retour à la maison, sa cicatrice se rouvrait. « Pour nous, le cytotec a eu un effet boule de neige : les contractions en permanence ont provoqué la rupture utérine et donc le manque d’oxygène pour mon fils devenu handicapé. »
Une association pour informer
Après cette douloureuse expérience, Aurélie Joux a eu envie d’alerter les autres femmes. « Il faut que ça se sache… et que ça s’arrête. Je m’en voudrai toute ma vie d’avoir fait confiance aux médecins. » Une culpabilité qu’Anne Loirette, une autre mère déclenchée sous cytotec, partage. Aussi accouchée à Poissy, en 2007, elle n’avait reçu aucune information sur ce médicament non autorisé pour cet usage. Après une contraction très longue, son fils a été sorti en urgence par césarienne. Victime d’une hémorragie de la délivrance, Anne s’insurge : « on m’a laissé repartir sans explication. Je suis sortie de l’hôpital en pensant que ça venait de moi ». C’est lors de sa deuxième grossesse, qu’Anne se lance dans des recherches sur les effets du cytotec. Et comprend le danger que les médecins lui ont fait courir à elle ainsi qu’à son enfant.
Anne et Aurélie ont décidé de créer une association « Timéo et les autres » pour informer tous les futurs parents et lutter contre l’utilisation hors autorisation de mise sur le marché de cet anti-ulcéreux. « On essaie de recueillir des témoignages et de faire la liste des quelques maternités qui utilisent encore le cytotec pour déclenche les accouchements. » Car Poissy n’est pas le seul centre dans le viseur. En 2009, Rebecca a vécu un accouchement très semblable à celui d’Anne. Après deux comprimés de cytotec, elle a une contraction qui dure un quart d’heure. Sa fille est sortie en urgence par césarienne, en état de mort apparente et a ensuite passé une semaine en soins intensifs en néonatalogie. Lors de sa deuxième grossesse, la surprise et la désapprobation qu’elle lit sur le visage des médecins qui regardent son dossier médical lui mettent la puce à l’oreille. « Ils m’ont dit que c’était anormal qu’un hôpital comme Necker utilise encore le cytotec », souligne Rebecca.
Une alerte de l’Agence Nationale de sécurité du Médicament
Et si la pratique ne semble pas répandue, elle est encore d’actualité. Sonia Peltier devait accoucher à Poissy le 13 février 2013. Mais comme on lui proposait d’être déclenchée sous cytotec, elle refuse ce médicament trop dangereux. En urgence, elle décide donc d’aller dans une clinique privée. « Je trouve très inquiétant qu’un hôpital propose encore comme seule option pour le déclenchement le cytotec, s’étonne Sonia. Moi j’étais informée et j’avais les moyens d’aller dans le privé ! »
L’Agence Nationale de sécurité du Médicament a d’ailleurs alerté les professionnels sur les dangers de l’utilisation hors AMM du cytotec sur son site dès ce lundi : « Dans le déclenchement de l’accouchement à partir de 37 semaines d’aménorrhée, [le cytotec], quelle que soit la voie d’administration, fait courir des risques graves à la mère et à l’enfant. En effet, des effets indésirables graves ont été rapportés avec une utilisation de Cytotec dans le déclenchement du travail comme la survenue de rupture utérine, d’hémorragies ou d’anomalies du rythme cardiaque fœtal. » Contactées, les maternités de Poissy et de Necker n’ont pas répondu à notre sollicitation.