Premier tour. Sur la place Stalingrad, le Front de gauche entre stupeur et détermination
REPORTAGE•Chez les militants, l'euphorie a fait place au réalisme du nécessaire vote socialiste…Nicolas Bégasse, envoyé spécial place Stalingrad
De notre envoyé spécial place Stalingrad,
C’est le visage de Marine Le Pen sur l’écran géant, et son score inattendu, qui font d’abord réagir la place Stalingrad, à Paris, où les supporters de Jean-Luc Mélenchon se sont massés par milliers pour assister à la soirée électorale. Des sifflements, vite suivis d’un appel répété: «Résistance! Résistance!»
Suivent quelques instants de flottement pendant lesquels la foule, venue avec drapeaux et boissons pour faire la fête, accuse le coup. Marine Le Pen, l’ennemie n°1 de Jean-Luc Mélenchon, atteint un score record pour le Front national, et le Front de gauche est loin derrière. «J’ai du mal à réaliser que Le Pen est aussi haut», avoue Romain en découvrant les résultats. «Se dire qu’une personne sur cinq qu’on va croiser dans la rue est allée tête baissée vers Marine Le Pen, c’est consternant.» «Ça craint», réagit encore Olivier, un déçu parmi tant d’autres sur la place parisienne. Avec ses amis, ils en sont déjà à calculer les voix de droite et de gauche. «Ce qui nous inquiète, ce sont les reports de voix. On ne veut pas que Sarko passe, François Hollande est un moindre mal.»
«Mobilisez, comme s’il s’agissait de me faire gagner l’élection!»
François Hollande, justement, est un nom qui n’est pas sur toutes les bouches, mais qui sera dans toutes les urnes, si l’on en croit les militants du Front de gauche. «Si Mélenchon ne passe pas, il faut bien que quelqu’un à gauche soit élu», réagissent Mélanie, Valérie et Vanessa, en prenant soin, malgré tout, de ne pas nommer Hollande. «La droite, on va l’assommer avec une grande gauche!»
Car si l’annonce des résultats a calmé la foule, l’apparition sur scène de Jean-Luc Mélenchon lui redonne son enthousiasme. «Nous sommes la seule force politique nouvelle qui a percé dans cette élection», crie le candidat, qui n’a pas perdu ses accents de leader. Pour lui, c’est le Front de gauche et ses électeurs qui tiennent les clés du scrutin entre leurs mains. Ceux-ci applaudissent, une nouvelle fois conquis, surtout quand Mélenchon répète qu’«il n’y a rien à négocier» entre les deux tours et après. Avec le 1er mai d’abord, «avec les syndicats dans la rue», et le 6 mai ensuite, où il faut voter Hollande, «sans rien demander en échange, pour battre Sarkozy». Jean-Luc Mélenchon lance un appel clair: «Mobilisez, comme s’il s’agissait de me faire gagner l’élection!» Un souci de clarté qui ne va pas jusqu’à dire à voix haute le nom de François Hollande, tout de même.
Car s’il faut battre la droite, il ne faudra pas se montrer tendre non plus avec le Parti socialiste. «Quel que soit le président élu, face à la finance, il n’aura d’autre choix que de se soumettre ou résister. Et pour ce qui est de résister, il n’y a qu’une force: la nôtre!» Applaudissements nourris, évidemment, pour saluer cette conclusion du candidat. Mais bien vite, place Stalingrad, les départs se multiplient. La musique aide bien à maintenir une petite ambiance festive, mais même l’Internationale, à peine entonnée, ne parvient pas à mettre du baume au cœur des militants. L’euphorie du vote Front de gauche, ici, a laissé place au réalisme du nécessaire vote socialiste.