Législatives: Pourquoi y a-t-il autant d'«irrégularités» constatées lors des élections (et si peu d'annulations)?
POLITIQUE•Le Conseil constitutionnel a annulé ce vendredi une élection législative à Mayotte : c'est la sixième circonscription où les résultats de juin 2017 sont invalidés...Laure Cometti et Thibaut Le Gal
L'essentiel
- Le Conseil constitutionnel a annulé les résultats des dernières législatives dans six circonscriptions.
- Les Sages doivent examiner au total 297 requêtes contestant les résultats des dernières législatives.
- Ce vendredi, ils ont rendu leurs décisions concernant les législatives de quatre circonscriptions, dans les Vosges, à Paris, Mayotte et chez les Français établis hors de France.
L’entourloupe n’était pas très fine : cet été, l’équipe de l’ex-député LR Ian Boucard a fait distribuer plus de 10.000 faux tracts laissant croire que la France insoumise et le Front national appelaient à voter pour sa candidature contre celle d’En Marche dans l’entre-deux-tours des législatives à Belfort.
« Cette manœuvre est de nature à avoir créé une confusion dans l’esprit d’une partie des électeurs et à avoir influé sur le résultat du scrutin », a estimé le Conseil constitutionnel qui a annulé l’élection. Les Sages ont publié ce vendredi leurs décisions sur des contentieux dans quatre autres circonscriptions : ils ont validé l'élection de l’Insoumise Danièle Obono à Paris et annulé celle de Ramlati Ali à Mayotte.
297 requêtes, six annulations
Le Conseil constitutionnel aura bientôt fini d’examiner les 297 requêtes contestant les résultats des dernières législatives. Si les juges ont constaté de nombreuses irrégularités et annulé des voix, ils n’ont invalidé que six scrutins. L’élection de Manuel Valls a ainsi été validée par l'instance, même si 66 votes ont été écartés en raison « des différences de signature significatives » entre le premier et le second tour. En d’autres termes : il y a des irrégularités, mais pas suffisamment pour conduire à l’annulation.
« Une élection n’est annulée que lorsque les irrégularités ont un effet sur le résultat final. Cela arrive souvent lorsque l’écart entre deux candidats est faible et que la fraude a pu influer sur l’issue du vote », note Romain Rambaud, professeur de droit public à l’université Grenoble Alpes. « On ne peut pas sanctionner les manœuvres frauduleuses car même lorsqu’une fraude est reconnue, il est très difficile de prouver qui en est à l’origine. On essaye toujours de se rattacher à la sincérité du scrutin », poursuit le spécialiste de droit électoral.
« Annuler le suffrage universel, ça ne se fait pas à la légère »
Comment le Conseil prend-il de telles décisions ? « Annuler le suffrage universel, ça ne se fait pas à la légère », prévient-on à l’institution. « Les décisions du Conseil s’appliquent immédiatement et aucun recours n’est permis. Dès que le Conseil prononce l’annulation, le ministère de l’Intérieur doit organiser une nouvelle élection dans un délai de trois mois ».
A chaque fois, l’institution mène une instruction approfondie et contradictoire. Les dix juges cherchent à savoir quelle infraction a pu avoir des conséquences sur le cours du scrutin. Le service juridique récupère les éléments dont il a besoin, comme les listes d’émargement, et peut auditionner les différentes parties avant de prendre sa décision.
Dans le Territoire de Belfort, ce sont des faux tracts qui ont fait tomber l’élection législative, dans le Loiret c’est un post Facebook d’un candidat pendant la période de réserve électorale, et en Haute-Garonne, c’est un « oubli administratif ».
La liste d’émargement d’un bureau de vote n’a pas été transmise à la préfecture. « Ce sont des marcheurs qui ont constaté des irrégularités, notamment sur un bureau, à Gensac-de-Boulogne (Haute-Garonne). Ils ont expliqué qu’ils s’étaient emmêlé les pinceaux avec un document interne et avaient envoyé la mauvaise liste. Tenir plusieurs listes est en soi une irrégularité grave », explique Me Philippe Azouaou, avocat du candidat LREM Michel Montsarrat, qui a saisi le Conseil, dans un délai de dix jours après les résultats.
« Lorsque les résultats sont serrés, les avocats et les candidats savent qu’ils ont une chance de faire annuler l’élection », note Romain Rambaud. Les Sages ont ainsi pris en compte le « faible écart de voix entre les deux candidats » pour justifier l'annulation de l'élection du député PS Joël Aviragnet, le 18 décembre dernier.
« On n’est pas des machines »
Les irrégularités sont-elles inhérentes aux scrutins ? Pour Léo, assesseur dans un bureau de vote parisien aux deux tours des législatives, elles découlent d'« erreurs humaines : des erreurs de noms, l’électeur qui signe dans la mauvaise case, parce que la règle a sauté… C’est l’irrégularité la plus courante. Parfois des électeurs viennent en famille, ils sont 5 ou 6 à signer d’affilée avec le même nom. Il y a aussi des électeurs très âgés, ou encore trop pressés, qui signent trop vite et se trompent de case », énumère-t-il.
Autres raisons invoquées : la fatigue ou la déconcentration des assesseurs et du président du bureau de vote, accrue par le « déficit de bénévoles, en particulier aux législatives, qui augmente la charge de travail. C’est un travail humain, c’est normal qu’il y ait des erreurs, poursuit Léo. On n’est pas des machines, heureusement ! Car une machine pourrait être truquée ».