L’extrême droite a-t-elle un problème avec l’art contemporain ?
POLITIQUE•Une fontaine repeinte par un maire frontiste relance le débat...undefined undefined
Cela fait plus de trente ans que ces deux-là se chamaillent. Extrême droite et art contemporain ne s’entendent décidément pas. Dernier exemple en date, ce mardi. Fabien Engelmann, le maire FN de Hayange (Moselle) a repeint en bleu une sculpture du centre-ville, jugée «sinistre» sans en avertir l’artiste Alain Mila. Cette décision a entraîné la colère du sculpteur et l’indignation de la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti.
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« Une œuvre d’art ne peut être modifiée sans accord de l’artiste. Cet incident est un appel à la vigilance. #Hayange http://t.co/MIKt3GLUeU — Aurélie Filippetti (@aurelifil) 28 Juillet 2014 »
Une opposition ancienne
Cette attaque contre l’«art comptant pour rien», comme le nomment ses détracteurs, est une antienne de l’extrême droite. «C’est un problème récurrent entre les créateurs, et en particuliers ceux de l’art contemporain et le Front National», avance le politologue et spécialiste de l’extrême droite, Jean-Yves Camus. «C’est un sujet dont le FN s’est saisi lorsqu’il est devenu un parti important, au milieu des années 1980». Bruno Mégret s’indignait déjà en 1987 de l’érection des Colonnes de Buren au Palais Royal.
Lors des élections municipales en 1995, le parti de Jean-Marie Le Pen remporte les villes de Marignane (Bouches-du-Rhône), Orange (Vaucluse) et Toulon (Var). «Les élus frontistes proposaient dans leur programme une conception plus patrimoniale et locale de l’art sous toutes ses formes. Il s’agissait de favoriser tout ce qui pouvait être folklorique, local, revenir à une culture dite "populaire"», précise le politologue. La culture contemporaine passe alors au second plan.
«Une subversion des valeurs traditionnelles»
Parfois, l’attaque se fait plus virulente. En novembre 2013, le directeur de campagne du FN à Reims pour les municipales 2014 s’en prend au Frac (Fonds Régional pour l’Art Contemporain) de Champagne-Ardenne. Dans son billet, «un écrin pour de la merde», Jean-Claude Philipot dénonce les œuvres «devant lesquelles les bobos de la gauche caviar, ou plus simplement les snobs s’extasient pour faire "moderne" et se distinguer de ce peuple qu’ils méprisent et qui trouve affreuses ces "machins".»
Comment expliquer une telle répulsion? «L’art contemporain les dérange, car ils ont le sentiment qu’il s’agit d’une forme de subversion des valeurs traditionnelles», explique Jean-Yves Camus. «La plupart de ces partis de droite extrême souhaitent arrêter le changement vers une société qu’ils jugent décadente, dégénérée. S’en prendre à l’art contemporain, c’est s’en prendre à cet état d’esprit», ajoute la politologue Nonna Mayer.
«Une obsession des élites»
«L’un des drames de l’extrême droite française, c’est qu’elle était active culturellement dans les années 30, et qu’elle ne l’est plus depuis 1945, selon Jean-Yves Camus. Il n’existe plus aucun renouvellement. En termes de créations musicales, picturales, littéraires, il n’y a pas d’avant-garde comme cela a pu exister pour l’extrême droite italienne dans les années 1970-1980, notamment dans les arts graphiques.»
Le conseiller de Marine Le Pen à la culture et la Francophonie, Karim Ouchikh s’en défend. «Il n’y a aucune hostilité de principe du FN à l’art contemporain», précisant qu’il ne s’agit seulement pas «d’une priorité». «Dans l’opinion publique, on l’encense de manière trop excessive, c’est une obsession de nos élites, pas de nos concitoyens».