SOCIÉTÉAvec sa barbe rasée, «Sarkozy veut revenir en politique avec les codes traditionnels du pouvoir»

Avec sa barbe rasée, «Sarkozy veut revenir en politique avec les codes traditionnels du pouvoir»

SOCIÉTÉFabrice d'Almeida, historien à l'Université Panthéon-Assas (IFP), explique pourquoi la barbe et la politique ne font pas vraiment bon ménage...
Mathieu Bruckmüller

Propos recueillis par Mathieu Bruckmüller

«Surveillez ma barbe! Quand je me raserai ce sera un signe.». Cette petite phrase lâchée par Nicolas Sarkozy au début de l’année sur le ton de l’humour était peut-être bien à prendre au sérieux.

« "Surveillez ma barbe! Quand je me raserai ce sera un signe" nous avait dit Nicolas #Sarkozy en janvier: aujourd’hui c’est fait… #UMP — Guillaume Daret (@GuillaumeDaret) July 2, 2014 »

Pour sa première interview depuis son départ de l’Elysée en mai 2012, l’ancien chef de l’Etat est apparu le visage glabre devant les caméras de TF1. Un indice de plus qui laisse supposer que son retour au premier plan de la vie politique s’approche à grands pas.

Mais pourquoi supprimer cette barbe de trois jours qu’il arborait depuis deux ans? Barbe et politique sont-ils si incompatibles? Eléments de réponses avec l’historien Fabrice d’Almeida, auteur de l’Histoire mondiale de la propagande aux éditions de La Martinière.

Un homme politique de premier plan doit être rasé de près en France?

Je crois qu’il est possible en théorie pour un homme politique d’avoir une barbe de trois jours. Regardez Philippe Seguin ou plus récemment Pierre Moscovici. Cela ne fait pas négligé puisque ce type de barbe demande de l’entretien. Je le vois comme l’expression d’un romantisme masculin.

Dans le cas de Nicolas Sarkozy, la signification me semble plus profonde. La barbe exprimait la volonté de retrait, de retour sur soi, comme lors d’un jeûne. J’ajoute que, comme Valéry Giscard d’Estaing, Nicolas Sarkozy avait la volonté en tant que président de changer le formalisme de la fonction présidentielle pour y installer plus de modernité, moins de pesanteur. Malgré tout, il s’apprête à revenir en politique avec les codes traditionnels du pouvoir: le costume, la cravate, et le rasage de près. Il n’a pas osé la transgression surtout à une époque où chaque changement de look est disséqué.

Par le passé, la barbe avait-elle plus la cote?

Oui. A la fin du 19e, 60 % des parlementaires portaient la barbe. Elles étaient plutôt courtes. Napoléon III avait pris auparavant des mesures pour limiter les barbes longues associées à ses adversaires républicains, même si l’extrême droite royaliste la portait aussi, bien taillée. La barbe au XIXème s. est un synonyme de gravité, de responsabilité, de sérieux.

Quand a-t-elle changé de sens?

Avec les deux guerres mondiales. Après la première, la moustache prend le pas sur la barbe avant que le rasage de près ne s’impose avec la fin de la deuxième guerre. Après ces deux tragédies, les hommes politiques vont avoir à cœur de valoriser la jeunesse. Or le jeune n’est pas barbu. Et le politique n’est plus là pour gérer la guerre et la mort, mais le bonheur, la sécurité sociale. A cela s’ajoute la place grandissante des femmes dans la société qui de leur côté ont déclaré la guerre au poil.

Mais la barbe n’a pas dit son dernier mot. Les révolutionnaires la portent dès les années 1960. Et sous Mitterrand, elle a ses défenseurs comme Louis Mexandeau ou le ministre de l’Intérieur Philippe Marchand. Idem pour Jean-Luc Mélenchon quand il était au PS. Alors que la barbe lui donnait une allure solennelle, l’aspect glabre renforce un côté plus dynamique.

La situation française est-elle la même chez nos voisins?

Oui. La même tendance s’observe dans tous les pays occidentaux. Si la barbe de trois jours prendra peut-être un peu plus de place dans les années à venir, le retour à une barbe fournie chez les politiques n’est pas pour demain. Tout le débat a été faussé avec les barbus «islamistes» qui ont donné une réputation sulfureuse à la barbe.